Une attaque éclair qui manquait sa cible
Selon plusieurs sources sécuritaires convergentes, un convoi transportant le général Odowaa Yusuf Rageh a essuyé le feu nourri d’un commando d’Al-Shabaab aux abords de Balcad, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de la capitale. Le chef d’état-major supervisait une opération conjointe armée‐forces locales destinée à déloger les extrémistes de villages riverains de la Shabelle. « Il s’agissait d’une attaque planifiée, utilisant des engins explosifs improvisés et un tir direct au RPG », confie, sous couvert d’anonymat, un officier de l’unité de renseignement militaire. Le général Rageh en est sorti indemne, plusieurs de ses gardes ont été blessés, et les assaillants se sont dispersés dans la végétation. Al-Shabaab a rapidement revendiqué l’opération, parlant d’« avertissement aux collaborateurs du gouvernement de Mogadiscio ».
Rageh, symbole d’une armée en reconstruction
Nommé à trente-sept ans, Odowaa Yusuf Rageh incarne la génération d’officiers formés au Koweït, en Turquie puis aux États-Unis, que le président Hassan Sheikh Mohamud veut voir mener la réforme de la Somali National Army. Depuis son entrée en fonction en 2020, le général plaide pour le transfert progressif des responsabilités sécuritaires de l’AMISOM, devenue ATMIS, vers les forces somaliennes. Son implication directe sur le terrain vise à motiver les troupes, mais accroît aussi sa vulnérabilité. Pour Al-Shabaab, le neutraliser reviendrait à frapper le moral d’une armée dont la cohésion reste fragile.
Une constante stratégique d’Al-Shabaab : viser les têtes
Depuis 2017, l’organisation liée à Al-Qaïda concentre ses efforts sur des cibles à haute valeur politique : ministres, officiers supérieurs, responsables locaux. Ce mode opératoire compense l’érosion de ses bastions ruraux et permet de projeter l’image d’une guérilla omniprésente. L’attaque de Balcad rappelle l’attentat de février 2022 contre le porte-parole du gouvernement ou celui d’octobre 2022 qui coûta la vie au ministre de l’Éducation. Les services occidentaux y voient une campagne destinée à perturber la feuille de route électorale et à saper la confiance des bailleurs de fonds.
Impact immédiat sur la scène politique de Mogadiscio
Le président Mohamud a dénoncé une « lâche tentative d’intimidation » et réaffirmé la tenue du deuxième volet de l’offensive nationale baptisée « Wajajaab ». En coulisses, plusieurs députés redoutent toutefois que l’incident retarde la délicate réforme du secteur sécuritaire, notamment l’intégration des milices claniques. L’opposition accuse l’exécutif de surestimer la capacité de l’armée à assumer seule la protection des infrastructures critiques, alors que la Force de transition de l’Union africaine planifie la réduction de ses effectifs à 10 000 hommes d’ici fin 2024.
Répercussions régionales et rivalités géopolitiques
Du Kenya à l’Éthiopie, les chancelleries suivent de près l’évolution de la menace. Nairobi, visée par l’attaque du complexe de Dusit en 2019, a immédiatement relevé son niveau d’alerte le long de la frontière. Addis-Abeba, engagée sur plusieurs fronts internes, craint un débordement jihadiste dans la région somali éthiopienne. Les Émirats arabes unis, qui ont signé en janvier un accord de coopération militaire avec Mogadiscio, voient dans l’attentat manqué un test grandeur nature de leur stratégie d’influence maritime dans le golfe d’Aden.
Le soutien international remis sous les projecteurs
Washington, qui maintient environ 450 conseillers des forces spéciales en Somalie, a assuré « continuer d’appuyer la modernisation de la SNA ». Le commandement américain pour l’Afrique affirme que ses frappes aériennes, qui ont éliminé plus de 200 combattants en 2023, demeurent limitées mais décisives. L’Union européenne, principal bailleur de la mission ATMIS, insiste pour sa part sur la nécessité de coupler la dimension militaire à un soutien accru à la gouvernance locale. « Sans services publics de base, chaque victoire tactique restera transitoire », observe un diplomate européen en poste à Nairobi.
Une course contre la montre avant le retrait d’ATMIS
Le calendrier prévoyant un transfert total de la sécurité à Mogadiscio d’ici décembre 2024 semble de plus en plus contraint. En mars, l’ONU a souligné que seulement 35 % des unités somaliennes répondent encore aux critères opérationnels minimums. Les experts estiment que la tentative contre le général Rageh accentuera la pression sur le gouvernement pour accélérer la formation de brigades motorisées et améliorer la logistique, enjeu crucial dans les plaines inondables de la Shabelle.
Entre résilience jihadiste et volonté réformatrice
L’attentat manqué ne constitue ni un tournant décisif ni une simple péripétie. Il illustre la dialectique permanente opposant les gains territoriaux réguliers de l’armée somalienne à la faculté d’Al-Shabaab de frapper le cœur de l’appareil sécuritaire. La survie du général Rageh offre certes un sursis psychologique à ses troupes, mais elle démontre surtout que la stabilisation durable ne pourra advenir sans combinaison cohérente d’action militaire, de compromis politiques claniques et d’investissements socio-économiques. La Corne de l’Afrique, fragilisée par la concurrence des puissances du Golfe et les tensions éthiopiennes, observera avec attention la capacité de Mogadiscio à transformer cet échec d’Al-Shabaab en impulsion stratégique.