Un héritage musical au croisement des Routes de la Soie
Avant même que le rideau de velours pourpre ne s’entrouvre, le visiteur sent planer un parfum d’histoire longue. Le Muqam ouïghour, inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2005, condense neuf siècles de brassages marchands, spirituels et esthétiques apparus sur l’épine dorsale des anciennes Routes de la Soie. Art total mêlant chant modal, récitatif épique, danse giratoire et orchestration à cordes frottées, il raconte les épopées caravanières, les mythes soufis et les chroniques familiales du Turkestan oriental. La délégation de journalistes africains, dont plusieurs rédacteurs venus de Brazzaville, a ainsi découvert que chaque note du satar résonne comme une archive vivante des circulations eurasiatiques.
Dialogue sino-africain prolongé par la scène
Sur le plan protocolaire, la venue de reporters congolais n’est pas anecdotique. Pékin affine depuis une décennie sa diplomatie culturelle à destination du continent africain, où l’écho de la coopération infrastructurelle se double désormais d’une projection patrimoniale davantage sensible. À Urumqi, les hôtes africains sont invités à appréhender un visage plus nuancé de la Chine : celui d’un État-civilisation qui valorise la diversité de ses minorités tout en soulignant la cohésion nationale. « Donner à entendre la pluralité ethnique, c’est offrir une porte d’entrée directe sur nos valeurs d’harmonie », confie Chen Wei, metteuse en scène et professeure au Conservatoire de musique de Chine. L’argument trouve un écho particulier auprès des observateurs du Bassin du Congo, région elle-même riche d’un patrimoine polyphonique et multiculturel.
Le théâtre de Xinjiang, laboratoire d’échanges créatifs
Édifié dans une architecture mêlant coupoles turco-islamiques et lignes contemporaines, le théâtre d’art Muqam se veut incubateur d’innovation scénique. Chaque saison, il accueille des virtuoses kazakhs, ouzbeks ou tadjiks, tandis que des chorégraphes locaux réinterprètent les tableaux classiques pour répondre aux canons esthétiques actuels. Les journalistes ont assisté à une mise en espace où les tambours naghra dialoguaient avec une section de percussions électroniques, démonstration d’une modernité assumée sans rupture avec la tradition. À la sortie, plusieurs confrères africains soulignaient que cette hybridation, loin de diluer l’authenticité, en amplifie la portée auprès des jeunesses urbaines.
Des variantes régionales comme miroir d’une histoire plurielle
Quatre grands styles structurent le répertoire : les Douze Muqam, colonne vertébrale savante ; le Dolan Muqam, porté par l’élan mystique des steppes ; le Turpan Muqam, qui emprunte ses ornementations mélodiques aux oasis marchandes ; et le Hami Muqam, raffiné, presque chambriste. Cette cartographie artistique reflète la mosaïque sociologique du Xinjiang, à l’image des façades d’adobe ocres de la vieille ville de Kashgar ou des vignes de Turpan. En coulisse, des musicologues expliquent que la transmission orale, fondée sur l’ustaz-talip – la relation maître-disciple –, garantit la pérennité des variantes locales tout en offrant un socle commun aux identités multiples.
La puissance douce chinoise sous le signe du tambour
Pour Pékin, la mise en scène du Muqam s’inscrit dans une stratégie de soft power articulée autour de la notion d’« harmonie dans la diversité ». La mobilisation d’artistes d’Asie centrale illustre la volonté de consolider la dimension culturelle de l’Initiative la Ceinture et la Route, tandis que l’invitation régulière de délégations africaines nourrit une réciprocité symbolique vis-à-vis des partenariats économiques. La professeure Chen Wei insiste : « Le langage du corps et des gammes transcende les malentendus politiques ; il forge une diplomatie de la connivence. » Les reporters congolais, habitués aux rythmes du tam-tam royal teke, ne peuvent qu’acquiescer à cette analogie universelle du tambour comme battement partagé.
Préserver le patrimoine pour consolider la stabilité régionale
Au-delà de la carte postale exotique, la sauvegarde du Muqam participe à la politique plus large de cohésion sociale dans la région autonome ouïghoure. Financements publics pour les écoles de musique, bourses de recherche en ethnomusicologie, numérisation des archives sonores : autant d’efforts explicitement reconnus par l’Unesco. Les diplomates présents relèvent que la conservation d’un patrimoine vivant joue un rôle de stabilisateur, car elle offre à chaque communauté un espace d’expression légitime au sein du récit national chinois. En filigrane, se dessine la conviction que la culture, soigneusement valorisée, demeure l’un des antidotes les plus fiables aux radicalismes identitaires.
Entre coulisses et parquet, un message de concorde
La visite du théâtre d’art Muqam a finalement permis aux journalistes de repartir avec une conviction partagée : à l’heure où la planète se fragilise sous les tensions géopolitiques, un pas de danse ouïghour peut valoir autant qu’une table de négociation formelle. L’aisance avec laquelle les interprètes enchaînent arabesques et modulations rappelle que le dialogue interculturel n’est pas une abstraction diplomatique, mais un geste vécu. En ce sens, le Xinjiang offre au monde un laboratoire où les identités dialoguent au lieu de s’opposer, et il n’est pas anodin que des voix congolaises, attachées à la diplomatie de la paix chère à Brazzaville, aient été témoins et relai de cette leçon de concorde.