Une manifestation culturelle devenue rendez-vous diplomatique estival incontournable
Au pied du Mont Valérien, haut lieu de mémoire nationale française, la guinguette africaine de Suresnes s’apprête à entamer, du 5 juillet au 24 août 2025, une nouvelle saison qui promet de conjuguer légèreté estivale et portée symbolique. Le décor, celui du centre de loisirs des Landes, évoque les rives de la Seine autant que celles du fleuve Congo ; il devient, l’espace de sept week-ends, un théâtre de diplomatie culturelle informelle où se croisent touristes, riverains et représentants de divers consulats africains. Dans un entretien accordé en mars dernier, son fondateur, Célestin Sounda Stewart, confiait que « l’art de la fête n’est jamais éloigné de l’art de la rencontre ». Bien plus qu’une animation locale, l’initiative promeut un dialogue interculturel désormais inscrit dans l’agenda officieux de plusieurs chancelleries africaines.
La diaspora congolaise, trait d’union entre Fleuve Congo et Seine
Paris et sa banlieue abritent l’une des diasporas congolaises les plus dynamiques d’Europe. Sur les hauteurs de Suresnes, cette communauté trouve une scène idéale pour mettre en valeur un patrimoine artistique qui va de la rumba, récemment inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, aux notes plus contemporaines de l’afro-beat. Les familles franciliennes y découvrent, souvent pour la première fois, la variété des rythmes kongo, lingala ou teké. Cette médiation culturelle active contribue à déconstruire les clichés parfois associés au continent, tout en renforçant un sentiment d’appartenance chez les jeunes issus de l’immigration. Dans le même temps, elle offre au Congo-Brazzaville un espace de rayonnement complémentaire aux canaux diplomatiques classiques.
Les ambitions de la municipalité et l’appui discret de Brazzaville
Guillaume Boudy, maire de Suresnes, voit dans la guinguette un levier de cohésion sociale locale et un atout touristique. Interrogé en séance du conseil municipal, il insistait sur « la capacité de l’événement à fédérer un public intergénérationnel autour de l’ouverture à l’autre ». De l’autre côté, le ministère congolais de la Culture a confirmé, par voie de communiqué, son « soutien moral » à l’initiative, soulignant qu’elle participe à l’effort national de diplomatie publique. Le président Denis Sassou Nguesso a, à plusieurs reprises, encouragé les acteurs culturels de la diaspora à « porter haut les couleurs du Congo dans chaque espace d’expression ». Sans jamais se mêler de la gouvernance associative régie par la loi 1901, les autorités congolaises facilitent néanmoins l’envoi d’artistes en tournée et la mise à disposition de produits d’artisanat éligibles au label « Made in Congo ».
Gastronomie et rythmes : matrices d’un soft power assumé
À Suresnes, la diplomatie se décline aussi en plats mijotés. Les effluves de saka-saka, de poulet moambe et de bananes plantain se mêlent aux accords de guitare d’une rumba chaloupée. Cette alliance sensorielle accroît la capacité d’attraction du pavillon congolais, prolongeant l’idée, chère aux théoriciens du soft power, selon laquelle l’adhésion culturelle précède souvent la coopération politique. Dans un contexte international où l’image-pays se construit autant sur les réseaux sociaux que dans les salons ministériels, l’événement devient un vecteur d’influence apprécié. Les organisateurs estiment qu’en 2024, près de 32 000 visiteurs ont foulé les planches du dancing en plein air ; pour l’édition 2025, les prévisions tablent sur 40 000, grâce à une campagne de communication ciblée sur les communautés estudiantines et les associations de quartiers.
Vers un élargissement des partenariats culturels régionaux
Si la guinguette demeure résolument congolaise dans son ADN, elle s’ouvre progressivement à des collaborations avec d’autres pays d’Afrique centrale. Les ambassadeurs du Cameroun et du Gabon auraient proposé, selon nos informations, de parrainer des soirées thématiques afin de mutualiser les publics. En parallèle, la région Île-de-France étudie la possibilité d’inscrire l’événement dans son programme « Été culturel », ce qui sécuriserait un soutien logistique supplémentaire. Pour Célestin Sounda Stewart, l’enjeu est clair : « Nous voulons consolider ce lieu comme un carrefour où la diversité culturelle se célèbre sans hiérarchie ni folklore figé ». Une ambition partagée par les autorités congolaises, convaincues que l’essor d’une diplomatie des territoires complète l’action des institutions centrales. Reste à orchestrer cette montée en puissance sans perdre l’esprit guinguette, cette convivialité populaire qui, chaque été, transforme l’esplanade du Mont Valérien en balcon sur le fleuve Congo.
Regards croisés sur l’avenir d’un laboratoire de convivialité diplomatique
À l’heure où nombre de capitales cherchent à mobiliser la culture pour bâtir des ponts, l’exemple de Suresnes illustre la pertinence d’une approche où la musique et la gastronomie deviennent autant de points d’appui pour une diplomatie de proximité. Ni tribune politique ni vitrine commerciale au sens strict, la guinguette africaine s’impose comme un espace intermédiaire dans lequel les imaginaires se croisent et les perceptions évoluent. Les retombées, bien que difficiles à quantifier en termes économiques, s’observent déjà dans la densité des réseaux associatifs et la multiplication de projets de coopération décentralisée. À l’orée de sa nouvelle édition, l’événement semble avoir trouvé l’équilibre délicat entre fête populaire et stratégie de rayonnement, confirmant que, sous les lampions, se dessine parfois l’ébauche d’une diplomatie gagnante-gagnante.