La gastronomie, nouvelle grammaire du soft power
Dans les cercles diplomatiques, l’idée selon laquelle la cuisine constitue un langage universel n’est plus contestée. Au Congo-Brazzaville, cette conviction prend un relief particulier avec la sortie du single « Gastronomie africaine » du slameur Black Panther. L’artiste érige la marmite en tribune, transformant chaque épice en signifiant politique. L’initiative intervient alors que Brazzaville intensifie ses actions de diplomatie culturelle, à la faveur d’un agenda panafricain où l’authenticité culinaire sert de passerelle entre peuples. Ainsi, la chanson agit comme un prolongement informel des orientations gouvernementales en matière de rayonnement culturel, sans discours péremptoire mais avec la force tranquille du goût partagé.
Un clip sensoriel qui courtise les cinq sens
Réalisé sous forme de performance audiovisuelle de six minutes, le clip met en scène des effluves de manioc, de gombo et de piment qui semblent s’échapper de l’écran. Aux plans serrés sur le « Matembelé tomson » succèdent des images d’archives familiales, tandis que la voix ciselée du slameur épouse le tempo des mortiers que l’on pilonne. La mise en scène, volontairement immersive, renoue avec la tradition des veillées congolaises où la parole scandée accompagne la préparation du repas. Entre l’ombre et la lumière, le spectateur perçoit la beauté du geste culinaire comme un acte d’affirmation identitaire. « La cuisine est un pont entre les générations », confie l’artiste, rappelant que chaque condiment transporte une mémoire intime autant qu’une histoire collective.
Brazzaville, carrefour des mémoires culinaires africaines
Le choix des invités dans les capsules diffusées en amont du clip n’est pas anodin : la chanteuse Fanie Fayar, la styliste Binta Traoré ou encore la comédienne Salma incarnent des trajectoires artistiques enracinées dans leur terroir. Leur présence illustre la capacité de Brazzaville à fédérer, par-delà les frontières, des créateurs qui font de la table un atelier de recomposition identitaire. L’initiative résonne avec la dynamique régionale impulsée par la zone de libre-échange continentale africaine, où la circulation des biens culturels et gastronomiques devient un vecteur économique prometteur. En filigrane, le clip suggère que la capitale congolaise aspire à se positionner comme hub des industries créatives, une ambition conforme aux orientations officielles visant à diversifier les leviers de croissance tout en consolidant l’unité nationale.
Du slam à l’action publique : convergences stratégiques
Au-delà du geste artistique, « Gastronomie africaine » ouvre un espace de dialogue avec les décideurs. Les références explicites aux aïeux, le respect du rituel culinaire et la célébration des produits locaux résonnent avec les programmes gouvernementaux de sauvegarde du patrimoine immatériel. Selon un conseiller culturel rencontré aux marges du Festival panafricain de musique, l’œuvre « confère un relief populaire aux chantiers institutionnels de valorisation de la diversité congolaise ». Il ne s’agit pas d’un slogan plaqué, mais d’une convergence organique : l’artiste parle au cœur, l’État structure la pérennisation. Dans un contexte continental marqué par la compétition des imaginaires, cette convergence nourrit la crédibilité internationale de Brazzaville en tant que pôle de stabilité et de créativité.
Vers un art total, miroir d’une ambition panafricaine
Black Panther affirme vouloir faire de son art « un carrefour entre le son, l’image, la mémoire et l’espace ». Cette quête d’interdisciplinarité épouse les tendances contemporaines des industries culturelles, où la porosité des formats favorise l’émergence d’expériences immersives. Elle répond également aux attentes d’une jeunesse connectée, avide de récits capables de conjuguer héritage et modernité. En s’emparant de la gastronomie, l’artiste propose au continent une matrice inclusive : chacun peut se reconnaître dans le goût d’un plat, se projeter dans le souvenir d’une veillée, se mobiliser autour d’une cause commune. Le slam devient alors diplomatie sensible, capable d’accompagner les dialogues politiques et économiques portés par les capitales africaines.
Un futur album sous le signe de la cohésion nationale
Premier extrait de l’album « La force des mots », le single augure un projet plus vaste où la poésie se veut ‘utile’, au sens où elle rassemblerait les Congolais de la diaspora et ceux du pays. Attendu pour le premier trimestre 2024, l’opus promet d’explorer d’autres thématiques fédératrices, telles que l’écologie urbaine ou la transmission intergénérationnelle. Dans les salons diplomatiques, certains voient déjà dans ce futur album un support privilégié pour les campagnes d’image du Congo-Brazzaville à l’étranger. Si l’artiste se garde de toute posture programmatique, son approche, fondée sur l’émotion partagée, rejoint les préoccupations officielles : faire de la culture un levier d’attractivité, un trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur, entre hier et demain.