Washington prône la vertu du capital privé en Afrique
À Luanda, la délégation américaine s’est employée à substituer la rhétorique de l’aide au développement par celle de l’investissement productif. « Les entreprises et le commerce, et non l’assistance, sont les moteurs d’une croissance durable », a martelé le conseiller présidentiel Massad Boulos devant une quarantaine de ministres africains réunis dans la capitale angolaise. Le propos n’est pas anodin : il s’agit d’effacer l’image d’un partenaire qui conditionne, réduit ou retire son enveloppe d’aide publique depuis 2017, tout en affichant une ambition industrielle renouvelée sur le continent. Pour Washington, le pivot africain passe désormais par le truchement de Wall Street plutôt que des guichets de l’USAID.
Le corridor de Lobito comme épine dorsale stratégique
Au cœur des annonces figure le corridor de Lobito, ligne ferroviaire destinée à écouler les minerais critiques de la Zambie et de la République démocratique du Congo vers l’Atlantique. Adossé à une co-financement Union européenne – institutions régionales, ce projet est présenté par les diplomates américains comme une alternative crédible aux routes de la soie chinoises. Outre la modernisation du rail, un consortium états-unien installera 22 silos à grains afin d’industrialiser les plaines angolaises et d’ouvrir un débouché agricole régional. Pour l’administration Biden, cette articulation infrastructures-chaînes de valeur doit démontrer que l’offre occidentale ne se limite plus au bitume mais s’étend à la transformation locale.
Énergie et numérique : le triptyque d’une influence élargie
Les accords paraphés à Luanda comportent une ligne électrique de 1 150 kilomètres entre l’Angola et la RDC, la participation d’entreprises américaines au gigantesque barrage Ruzizi III (Rwanda-RDC) et la construction à Freetown du premier terminal de gaz naturel liquéfié d’Afrique de l’Ouest destiné au GNL américain. En parallèle, un partenariat sur la cybersécurité vise à faire de l’Angola un hub numérique régional. L’architecture sectorielle – minerais, énergie, data – dessine une convergence claire avec la stratégie américaine de sécurisation des chaînes d’approvisionnement critiques tout en garantissant aux pays hôtes une modernisation de leurs réseaux.
Rivalité sino-américaine : la partition africaine
Dans les couloirs du sommet, responsables africains et observateurs ont explicitement convoqué la comparaison avec Pékin. Les promesses chinoises, plus rapides à matérialiser, ont longtemps fait école. Les interlocuteurs américains rétorquent par la « qualité » et la « transparence » des financements occidentaux. Néanmoins, plusieurs ministres soulignent que la compétition des géants ne saurait évacuer la question centrale du transfert de compétences et de la gouvernance des recettes minières. « Nous ne voulons pas revivre le face-à-face idéologique de la Guerre froide ; nous attendons des retombées concrètes », confie un haut fonctionnaire zambien.
Des engagements à la mise en œuvre : l’épreuve de la crédibilité
Les promesses de Luanda ne deviendront un levier diplomatique que si les échéanciers sont tenus. L’exemple du Power Africa lancé en 2013, au bilan contrasté, rappelle la difficulté à boucler les tours de table et à gérer les risques pays. Les bailleurs privés exigent des cadres réglementaires stables et des garanties souveraines que certains États peinent encore à offrir. De leur côté, les gouvernements africains redoutent que la réorientation américaine vers le capital privé ne transforme les projets sociaux en lignes de profits avant tout. Entre vulnérabilité budgétaire post-pandémie et pressions citoyennes, l’équation politique reste délicate.
Vers une diplomatie économique 2.0
Le virage opéré par Washington s’inscrit dans une doctrine plus large de « diplomatie des chaînes de valeur » formulée par Antony Blinken lors du Sommet des leaders États-Unis-Afrique de 2022. Là où l’aide publique visait à combler un déficit, l’investissement doit désormais générer des co-intérêts et asseoir une présence durable américaine. Reste que les paramètres sécuritaires – conflits dans l’est congolais, tensions en mer de Guinée – peuvent à tout moment grever la rentabilité escomptée. Pour nombre de diplomates, l’avenir de ces projets servira de baromètre aux capacités occidentales à réinventer leur posture sur un continent que la Chine, la Turquie et les pays du Golfe courtisent avec constance.
À Luanda, la déclaration finale loue « une ère nouvelle de partenariat axé sur le marché ». Les capitaux privés sont désormais convoqués comme outils de puissance, mais la confiance africaine se mesurera moins aux slogans qu’aux premiers wagons de cuivre qui quitteront effectivement le port de Lobito.