L’énergie verte comme matrice d’une solidarité continentale
Au cœur de l’esplanade du Centre des expositions de Dakar, le stand marocain attire un flux régulier de ministres, d’ingénieurs et de bailleurs de fonds curieux de saisir les rouages d’un modèle jugé exemplaire. La présence du Secrétaire d’État marocain en charge du Commerce extérieur, Omar Hejira, n’a rien d’une formalité protocolaire : elle témoigne de la volonté de Rabat d’inscrire la coopération énergétique au rang des priorités diplomatiques, conformément aux orientations du roi Mohammed VI. Le message, martelé d’emblée, fait écho à une conviction largement partagée dans les chancelleries africaines : la transition verte n’est plus un luxe, mais la condition sine qua non d’une souveraineté économique à long terme.
Rabat-Dakar : un axe stratégique pour l’électrification de l’Afrique
Le choix de la capitale sénégalaise pour cette étape de la tournée de la Confédération africaine de l’électricité illustre la montée en puissance de l’axe Rabat-Dakar. Les échanges entre l’Office national de l’électricité et de l’eau potable du Maroc et la Société nationale d’électricité du Sénégal portent déjà sur l’hybridation solaire-diesel dans les zones rurales, la formation de techniciens de maintenance et la sécurisation des réseaux. Au-delà du symbolique, la participation de plus de quarante entreprises marocaines témoigne d’un engagement industriel mûri : fourniture d’onduleurs, élaboration de centrales solaires clés en main, et conception d’outils de suivi des performances énergétiques.
Des gisements de soleil aux dividendes économiques
Le Maroc s’appuie sur deux décennies d’investissements dans le solaire et l’éolien pour légitimer son rôle de « catalyseur vert ». Du complexe Noor d’Ouarzazate aux parcs éoliens de Tarfaya, Rabat revendique un mix électrique approchant 40 % d’énergies renouvelables. Cette trajectoire intéresse nombre de décideurs africains, à commencer par ceux des pays enclavés dépendant encore massivement des groupes électrogènes. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, le continent pourrait doubler sa capacité électrique d’ici 2030 en misant sur le photovoltaïque hors-réseau. La promesse de réduire la facture des importations d’hydrocarbures tout en créant des milliers d’emplois locaux confère à la démarche marocaine un attrait difficile à ignorer.
Congo-Brazzaville : un partenaire attentif à la convergence énergétique
Représentant Brazzaville dans les travées du salon, un conseiller auprès du ministère congolais de l’Énergie confiait, sous couvert d’anonymat diplomatique, que « la mutualisation des expertises marocaines et des immenses ressources hydroélectriques du bassin du Kouilou ouvre une fenêtre stratégique ». Le gouvernement congolais, conformément aux orientations du président Denis Sassou Nguesso, finalise un plan national d’accès universel à l’électricité à l’horizon 2035. Les échanges amorcés avec les autorités marocaines portent sur le déploiement de mini-réseaux solaires dans les districts reculés et sur la formation d’ingénieurs congolais au Centre de recherche de l’Institut de l’énergie solaire de Rabat. Sans céder à l’euphorie, Brazzaville y voit l’occasion de consolider son propre agenda de diversification économique, tout en demeurant aligné sur les engagements climatiques de l’Accord de Paris.
Vers une souveraineté électrique africaine : défis et perspectives
L’optimisme volontariste qui a dominé les prises de parole à Dakar ne doit pas occulter la réalité des défis. Financement des interconnexions transfrontalières, renforcement des cadres réglementaires et maîtrise technologique locale demeurent les pierres d’achoppement d’une souveraineté énergétique espérée par tous. Le projet de gazoduc Atlantique Afrique, évoqué par plusieurs délégations, illustre la nécessité d’un calendrier réaliste et d’un schéma de gouvernance inclusive. Néanmoins, le vent semble tourner : la pandémie puis la guerre en Ukraine ont mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales et stimulé une volonté politique de relocalisation des filières énergétiques. À cet égard, la complémentarité entre les ressources solaires du Sahel, le potentiel hydroélectrique d’Afrique centrale et l’expertise industrielle marocaine suggère une équation gagnante.
Dans les salons feutrés des hôtels diplomatiques, les négociateurs ont conscience qu’un nouvel âge de la coopération africaine pourrait se jouer autour du kilowatt-heure vert. Le Maroc, en hôte appliqué, rappelle qu’il ne saurait s’agir d’un tête-à-tête, mais bien d’un chantier collectif où chaque État, du Congo-Brazzaville à la Namibie, trouvera sa place. Sur ce chantier, les grandes puissances extra-continentales observent avec attention : qui, demain, détiendra le contrôle des câbles, des données de production et des batteries ? La réponse dépendra de la capacité des capitales africaines à traduire l’élan de Dakar en mécanismes de financement, en centres de formation et en normes communes.