Des recettes en forte hausse malgré un contexte mondial incertain
Le ministère marocain du Tourisme fait état de 3,7 milliards de dollars de recettes entre janvier et mai 2025, soit une progression de 8 % par rapport à la même période de 2024 (ministère du Tourisme marocain, 2025). Au-delà de la simple embellie conjoncturelle, cette performance s’inscrit dans une trajectoire ascendante amorcée dès la réouverture post-pandémie : 17,4 millions de visiteurs en 2024, contre 14,5 millions l’année précédente, ont permis au royaume de doubler presque la contribution touristique au PIB – passée de 3,7 % en 2020 à 7,3 % en 2023. Dans un environnement géopolitique marqué par les tensions en mer Rouge et par un ralentissement de la demande européenne, le maintien d’un taux de croissance à deux chiffres confère à Rabat un avantage comparatif notoire sur ses voisins méditerranéens.
Accessibilité aérienne : l’arme silencieuse de la stratégie marocaine
Le bond de 22 % du nombre de touristes au cours des cinq premiers mois de 2025 traduit l’effet conjugué de nouvelles liaisons aériennes et d’une politique volontaire de séduction des transporteurs à bas coût. Selon l’Office national des aéroports, la capacité sièges sur l’axe Europe-Maroc a crû de 18 % en un an, portée par l’ouverture de lignes directes vers Séville, Berlin ou Varsovie. Le directeur général de la Royal Air Maroc, Abdelhamid Addou, souligne que « l’extension de la flotte long-courrier et la montée en puissance des accords de partage de codes ont renforcé la connectivité du hub de Casablanca ». Les compagnies low-cost, Ryanair en tête, représentent désormais plus de 40 % du trafic international, repositionnant Agadir et Tanger comme portes d’entrée compétitives face aux capitales touristiques régionales.
Marketing numérique et diplomatie culturelle : une image millimétrée
L’Office national marocain du tourisme revendique plus de 500 millions d’impressions sur ses campagnes digitales « Morocco, Kingdom of Light », déclinées sur douze marchés cibles. Le dispositif associe influenceurs, vidéos immersives en réalité augmentée et partenariats avec des plateformes de réservation. Cet activisme marketing converge avec une diplomatie culturelle plus assumée : Festival Gnaoua d’Essaouira, Biennale de Rabat ou encore Grand Prix automobile de Marrakech participent à densifier le calendrier événementiel, donnant au royaume une visibilité continue. Pour l’ancien ambassadeur Mohamed Machichi, « l’exportation d’un soft power musical et sportif sert à la fois l’économie et le rayonnement politique ».
Les retombées macroéconomiques : opportunités et lignes de fracture
Le maintien d’un taux de change relativement stable, soutenu par les recettes en devises, a offert à Bank Al-Maghrib une marge de manœuvre monétaire prudente face à la poussée inflationniste de 2023. Par ailleurs, l’investissement hôtelier a progressé de 15 %, porté par des fonds du Golfe qui voient dans le littoral atlantique un relais de diversification post-hydrocarbures. Toutefois, la redistribution géographique des bénéfices demeure inégale. Si Marrakech et Casablanca cumulent plus de 60 % des nuitées, les zones de l’Atlas méridional et du Rif peinent à capter les flux, malgré des programmes de labellisation rurale. Les autorités ont lancé « Génération Green 2030 », ambitieux plan visant à insérer 80 000 exploitations agricoles dans des circuits de tourisme durable, mais la formation des guides locaux reste à consolider.
Vers le risque de surtourisme : gestion des flux et soutenabilité
La médina de Marrakech voit désormais affluer jusqu’à 45 000 visiteurs par jour en haute saison, suscitant des tensions sur l’approvisionnement en eau et la gestion des déchets. Les autorités municipales testent un dispositif de billetterie horaire pour les monuments les plus fréquentés, sur le modèle florentin, tandis que l’UNESCO alerte sur l’érosion patrimoniale de certains riads. Pour la chercheuse Salma Benabdelkhalek, « le défi n’est plus d’attirer mais de réguler ». L’adoption récente d’une taxe verte sur les nuitées vise à financer la restauration des écosystèmes oasiens, menacés par la pression climatique.
La perspective du Mondial 2030 : accélérateur ou mirage ?
L’attribution conjointe à l’Espagne, au Portugal et au Maroc de la Coupe du monde de football 2030 agit comme un catalyseur. Rabat table sur huit millions de supporters additionnels et sur un programme d’infrastructures de près de 16 milliards de dollars. Toutefois, plusieurs diplomates européens rappellent la volatilité d’un tourisme sportif post-événement : le cas du Brésil en 2014 illustre le risque d’équipements sous-utilisés. Les négociations avec la Banque africaine de développement pour un financement hybride conditionnent l’accélération des chantiers ferroviaires, notamment la ligne à grande vitesse Casablanca-Agadir.
Une diplomatie économique en quête d’équilibre
En multipliant les accords bilatéraux d’exemption de visa avec des pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie, le Maroc déploie une diplomatie économique articulée autour de la mobilité et de l’attraction des devises. Le positionnement de Casablanca Finance City comme plate-forme régionale complète l’offre touristique en instaurant un écosystème de services haut de gamme. Reste que la dépendance au marché européen, qui fournit encore 55 % des entrées, expose le pays à un retournement conjoncturel. Les think tanks locaux plaident pour une diversification sectorielle, misant sur l’aéronautique et les énergies renouvelables afin de stabiliser la balance courante.
Cap sur 2030 : tirer profit sans dénaturer le modèle
Le Maroc aborde les cinq prochaines années avec un double impératif : consolider un moteur touristique devenu vital tout en préservant l’authenticité de ses territoires. Les récentes hausses de recettes confirment la robustesse du secteur, mais le basculement vers une gestion fine des flux, l’inclusion des régions périphériques et la neutralité carbone des infrastructures conditionneront la pérennité du succès. À Rabat, l’heure est donc à la nuance : transformer l’ivresse des chiffres en stratégie de long terme constitue désormais l’ultime test de maturité.