La mosaïque fiscale qui enclave le numérique en RDC
Dans la cartographie économique de l’Afrique centrale, la République démocratique du Congo se distingue autant par la richesse de son sous-sol que par la complexité de son architecture fiscale. Publiée en juin 2025, l’étude de la GSMA consacrée à la taxation du secteur mobile relève l’existence d’une vingtaine de prélèvements pesant simultanément sur les opérateurs (GSMA, 2025). Droit d’accise sur la consommation, taxes sur le chiffre d’affaires, redevances diverses : le paysage fiscal ressemble à une mosaïque dense qui, selon l’association professionnelle, porte le taux effectif moyen d’imposition à 91 % du bénéfice avant impôts. À titre de comparaison, le secteur minier, pourtant considéré comme pilier du produit intérieur brut, s’acquitte d’un taux moyen de 71 %, tandis que la finance de détail se situe à 34 %. La divergence soulève une interrogation majeure sur l’adéquation entre objectif de connectivité de masse et stratégie de recettes publiques.
Une rentabilité sous pression face à l’appétit du Trésor
Cette prééminence des taxes adossées au chiffre d’affaires plutôt qu’au résultat net crée un effet mécanique de ciseaux. Les opérateurs, assujettis même lorsque leur marge se comprime, voient leur capacité d’autofinancement se contracter. Les experts interrogés à Kinshasa estiment qu’à court terme, chaque tranche de dix points de pression fiscale supplémentaire se traduit par un report moyen de douze à dix-huit mois des projets d’extension de réseau. « Le modèle devient asymétrique : le Trésor encaisse indépendamment de la performance, alors que l’opérateur absorbe seul la volatilité du marché », confie un analyste régional sous couvert d’anonymat. Dans un contexte monétaire marqué par la fluctuation du franc congolais et la persistance d’importations payées en devises fortes, l’équation budgétaire des entreprises se complique encore, réduisant la visibilité à long terme, socle indispensable aux investissements lourds que représentent une antenne 4G ou un cœur de réseau 5G.
Effets collatéraux sur l’inclusion numérique et la 5G
Derrière la ligne comptable, c’est le consommateur final qui supporte in fine la charge. Les droits d’accise, répercutés sur les forfaits voix et données, accroissent le coût d’entrée pour les ménages. Selon l’étude précitée, une augmentation de 1 % de la fiscalité indirecte fait reculer de 250 000 le nombre de nouveaux abonnés Internet mobile chaque année. La fracture numérique, déjà sensible entre milieux urbain et rural, s’en trouve creusée. Dans les provinces enclavées du Kasaï ou du Tanganyika, la densité d’abonnés reste inférieure à vingt abonnés pour cent habitants, loin des seuils permettant l’équilibre économique d’un site radio. L’arrivée de la 5G, scrutée par les acteurs industriels pour la logistique minière et les services financiers, voit ainsi son calendrier repoussé. Les équipements nécessaires, importés d’Asie ou d’Europe, subissent des droits cumulés qui, selon un opérateur, « peuvent représenter jusqu’à 30 % de la valeur CIF », compromettant toute rentabilité prévisionnelle.
Le regard croisé de Brazzaville : qu’apprend la sous-région ?
Sur l’autre rive du fleuve Congo, la République du Congo a opté pour une démarche plus circonscrite, privilégiant des taxes indexées sur le bénéfice plutôt que sur le chiffre d’affaires et instaurant un plafond d’accise sur les services digitaux. Cette trajectoire, présentée comme un compromis entre impératif budgétaire et attractivité, a contribué à l’essor de la couverture 4G qui, selon le régulateur congolais, dépasse aujourd’hui 80 % de la population urbaine. Le cadre de Brazzaville est souvent cité par les partenaires techniques de la CEEAC comme un modèle de fiscalité modérée favorisant l’innovation, sans pour autant priver l’État de recettes significatives. La comparaison n’est pas neutre : elle alimente les discussions autour de l’harmonisation règlementaire régionale, projet porté de longue date par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique afin d’éviter les distorsions et de favoriser les corridors numériques transfrontaliers.
Entre sécurité budgétaire et diplomatie économique
À Kinshasa, le ministère des Finances rappelle que la contribution fiscale du secteur mobile représente un levier majeur de consolidation budgétaire après la pandémie et dans un contexte sécuritaire exigeant. « Nous cherchons un équilibre responsable », souligne un conseiller ministériel, évoquant la volonté de soutenir la transformation digitale sans sacrifier la stabilité macroéconomique. La marge de manœuvre paraît toutefois ténue : abaisser la fiscalité implique de trouver ailleurs, à court terme, les ressources nécessaires au financement des infrastructures publiques. Les bailleurs internationaux, Banque mondiale en tête, plaident pour une réforme graduelle qui substituerait progressivement les taxes sur le chiffre d’affaires par des prélèvements sur les bénéfices, mieux corrélés à la performance économique, tout en renforçant la coopération douanière afin de sécuriser les recettes non pétrolières.
Un enjeu systémique pour la diplomatie numérique régionale
Au-delà des chiffres, la question fiscale cristallise les défis de gouvernance économique à l’ère du numérique. Dans une sous-région où la connectivité demeure fragmentée, l’alignement des politiques publiques devient un vecteur de résilience collective. La RDC, par l’ampleur de son marché, exerce une attraction magnétique sur les capitaux et les talents technologiques. Or, l’intensité de la pression fiscale risque de détourner ces flux vers des environnements plus prévisibles. Certains opérateurs confirment déjà évaluer des stratégies de mutualisation d’infrastructures, voire de roaming intrarégional, afin de diluer le coût réglementaire. À terme, c’est tout le chantier de la transformation digitale, pilier de l’industrialisation africaine, qui pourrait être ralenti si les réformes n’aboutissent pas.
Vers un ciel numérique plus dégagé
Les conclusions de l’étude GSMA ne condamnent pas la RDC à l’immobilisme : elles invitent à une concertation modernisée entre État, régulateur et opérateurs. Plusieurs scénarios, allant de la rationalisation des taxes parafiscales à la mise en place de moratoires ciblés sur les investissements 5G, circulent déjà au sein des cercles décisionnels. S’ils aboutissent, la baisse d’un point du coût total de possession des réseaux mobiles pourrait, selon les projections, injecter près de 600 millions de dollars de PIB additionnels d’ici 2028 tout en créant plus de cent mille emplois directs et indirects. En toile de fond, la perspective d’un corridor numérique reliant Kinshasa, Brazzaville et Libreville encourage les capitales voisines à accélérer le pas. Dans cette course, la République du Congo, forte de son cadre incitatif, se positionne en partenaire naturel, rappelant qu’une fiscalité prévisible n’est pas antinomique avec l’ambition souveraine mais, au contraire, l’un de ses piliers.