Un chantier à forte charge symbolique
Annoncé en grande pompe lors du Conseil des ministres de février 2023, l’échangeur du 30 Juin constitue la pièce maîtresse du programme de modernisation urbaine que le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, présente comme « l’épine dorsale d’une mobilité métropolitaine digne des ambitions du Congo ». Situé à l’intersection des boulevards Alfred Raoul et Denis Sassou Nguesso, l’ouvrage doit fluidifier un trafic estimé à 65 000 véhicules quotidiens, tout en symbolisant l’essor d’une capitale en pleine mutation. Les premiers travaux préparatoires, confiés au Consortium sino-congolais d’ingénierie (CSCI), ont démarré en mai 2023, sous l’œil attentif d’une population curieuse et largement acquise à l’idée de désengorger le centre-ville.
Une mécanique financière scrutée
D’un coût prévisionnel de 92 millions de dollars, financé à 60 % par un emprunt concessionnel auprès de la Banque d’import-export de Chine et à 40 % sur ressources propres du Trésor congolais, le montage suscite un débat feutré dans les cercles économiques. Plusieurs économistes, dont l’enseignant-chercheur Rodrigue M’Bemba, saluent « la capacité du gouvernement à lever des fonds malgré un contexte budgétaire contraint », tout en rappelant l’impératif de maintenir la dette publique dans la fourchette des 60 % du PIB recommandée par la CEMAC. Les autorités, par la voix du ministre des Finances Rigobert Roger Andely, assurent que « chaque décaissement fera l’objet d’un suivi trimestriel et d’un audit indépendant », une démarche censée couper court aux rumeurs de surcoûts observés sur d’autres chantiers africains.
Les implications géopolitiques régionales
Au-delà de la circulation locale, l’échangeur devra servir de nœud logistique à la dorsale Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui-Ndjamena inscrite dans le PIDA de l’Union africaine. Les diplomates occidentaux en poste à Brazzaville y voient un signe tangible de la volonté congolaise d’adosser sa stratégie d’influence à des infrastructures concrètes. « Dans une sous-région marquée par la volatilité, la République du Congo mise sur la connectivité pour stabiliser les échanges », confie un conseiller de l’ambassade de l’Union européenne. Le projet s’inscrit également dans la dynamique de la Zone de libre-échange continentale, dont Brazzaville veut devenir l’un des pôles de transit pour les flux entre Golfe de Guinée et Sahel.
Voix de la société civile et réponse gouvernementale
Signe d’une gouvernance qui se veut participative, des consultations publiques ont réuni en juillet 2023 les riverains du quartier Poto-Poto, principaux bénéficiaires de l’ouvrage. Les ONG locales saluent cette ouverture, tout en exhortant les autorités à publier une étude d’impact environnemental détaillée. L’Observatoire congolais des droits des générations futures rappelle, dans une note transmise à la presse, que « les expropriations doivent être indemnisées de façon transparente et équitable ». Interrogé, le préfet de Brazzaville, Hugues Ngouélondélé, affirme que 90 % des ménages concernés ont déjà reçu des compensations conformes au barème de 2019 et qu’un dispositif d’assistance a été activé pour les autres. Cette approche consensuelle contraste avec les polémiques qui ont parfois accompagné des projets similaires dans la région.
Prospective : vers une doctrine congolaise de la connectivité
À mesure que les grues redessinent l’horizon de la capitale, les analystes s’interrogent sur la portée stratégique d’un tel investissement. L’économiste camerounais Célestin Tchakounté estime que « Brazzaville cherche à capitaliser sur sa position médiane entre Atlantique et cœur continental, afin d’offrir un corridor alternatif à la route Lagos-Mombasa ». Dans les cercles diplomatiques, certains décrivent l’échangeur du 30 Juin comme une « vitrine soft-power », susceptible de renforcer l’image d’un Congo stabilisateur. L’achèvement des travaux, prévu pour le second semestre 2025, coïncidera avec la présidence congolaise de la CEEAC, offrant une tribune idéale pour valoriser une doctrine de la connectivité inclusive, portée par un président désireux d’inscrire son action dans la durée.
Cap sur 2025 : entre attentes et patience
Si les objectifs techniques restent ambitieux, les ingénieurs du CSCI se veulent rassurants. Ils évoquent l’emploi de béton à haute performance et de capteurs IoT destinés à anticiper l’usure, une première dans la région. Les autorités, pour leur part, insistent sur la composante sociale : 1 800 emplois directs et 4 000 indirects devraient être générés sur la durée du chantier, selon le ministère de l’Aménagement du territoire. À l’aube de la phase la plus visible des travaux, le climat demeure à l’optimisme prudent. « Le véritable défi sera de maintenir le calendrier malgré les aléas d’approvisionnement et les précipitations », résume un haut cadre de la Banque mondiale. Mais à Brazzaville, la conviction demeure que l’infrastructure, une fois livrée, servira de démonstration tangible de la capacité congolaise à conjuguer vision et exécution.