La déferlante afrobeat en Seine
Il suffit d’observer l’onde de curiosité qui parcourt la capitale française pour mesurer l’importance du concert annoncé du jeune artiste nigérian. L’Accor Arena, gigantesque vaisseau culturel arrimé au boulevard de Bercy, affiche complet depuis des semaines et l’effervescence dépasse largement les cercles habituellement acquis à la cause des musiques africaines. À vingt-quatre ans, Rema ne se contente plus de placer ses refrains au sommet des plateformes de streaming ; il conquiert désormais les haut-lieux symboliques de la scène mondiale, faisant de Paris l’étape européenne la plus stratégique de sa tournée 2025.
Un parcours fulgurant de Benin City aux capitales mondiales
Né Divine Ikubor dans la vibrante cité de Benin City, Rema incarne, selon un responsable du label Mavin Records, « l’assurance tranquille d’une génération qui refuse toute hiérarchie culturelle héritée du colonialisme ». En cinq ans, l’artiste a tissé un récit qui l’a mené des studios de Lagos aux classements nord-américains. Le point d’inflexion demeure le remix de Calm Down avec Selena Gomez, catalyseur d’une visibilité planétaire et illustration d’une stratégie d’alliances croisées entre Sud global et industries hollywoodiennes. Loin de la figure éphémère du phénomène viral, Rema se saisit d’une identité dionysiaque et polyglotte : il manie l’anglais, le pidgin et le yoruba, navigue entre trap et reggaeton, et s’autorise même des inflexions mélodiques issues du gospel nigérian.
L’arène parisienne comme laboratoire d’influence culturelle
En programmant un artiste afrobeat en tête d’affiche solo, l’Accor Arena confirme une évolution de la diplomatie culturelle française soucieuse d’élargir son spectre. Paris, ville carrefour des diasporas africaines depuis plusieurs décennies, offre un terrain d’observation privilégié de la circulation des imaginaires et des capitaux. Les partenaires institutionnels ne s’y trompent pas : plusieurs attachés culturels africains ont annoncé leur présence, conscients qu’un tel rendez-vous peut devenir un levier de soft power. À travers Rema, c’est l’ensemble de l’écosystème nigérian — labels, start-ups technologiques, créateurs de mode, plateformes de streaming — qui se voit projeté sur les écrans géants de la diplomatie sonore.
Scénographie immersive et diplomatie du spectacle
Les premiers éléments filtrant des répétitions laissent entrevoir un dispositif visuel d’envergure. L’artiste a fait appel à un collectif parisien spécialisé dans le mapping lumineux, afin de dialoguer avec la vaste coque métallique de l’arène. Derrière les lasers et les fumigènes se joue cependant autre chose qu’une simple performance technique : la capacité des créatifs nigérians à imposer un standard esthétique compétitif face aux mastodontes nord-américains. « Nous voulons prouver que l’innovation africaine ne se limite plus aux idées, elle sait aussi orchestrer des spectacles de grande capacité », confiait récemment l’un des producteurs exécutifs. L’expérience immersive envisagée répond à une demande croissante d’événements où l’écoute se conjugue à la participation active, tant par les chants que par la danse, devenant un rituel collectif qui transcende les clivages identitaires.
Entre héritage africain et mondialisation musicale, un symbole fédérateur
Le répertoire que Rema proposera à Paris — de Bounce à Soundgasm, en passant par Ginger Me — traduit une ambition à la fois esthétique et politique : celle de présenter un Nigeria contemporain, décomplexé, capable de dialoguer avec la trap d’Atlanta tout en demeurant fidèle aux cadences d’Edo State. Les enjeux commerciaux ne sont pas négligeables : la durée annoncée du concert, proche de deux heures, permettra d’inscrire des morceaux inédits censés préfigurer un deuxième album déjà très attendu. Pourtant, l’artiste se garde de céder aux sirènes d’une universalité aseptisée ; son écriture, charnelle et spirituelle à la fois, rappelle que l’afrobeat puise sa force dans des réalités sociales précises, qu’il s’agisse des quartiers populaires de Lagos ou des clubs des campus universitaires d’Abuja.
En définitive, la soirée du 28 juin ne se réduira pas à un simple moment de divertissement. Elle réunit des diplomates curieux, une jeunesse diasporique avide de représentations positives et un public parisien en quête d’expériences plurielles. Le phénomène Rema témoigne de la maturation d’un marché musical africain capable d’exporter ses vedettes sans renoncer à son identité. Si la capitale française sert de caisse de résonance, c’est bien le dynamisme nigérian qui tiendra la baguette. À l’heure où les géopolitiques culturelles redessinent les affinités internationales, la présence d’un artiste africain sur une scène aussi prestigieuse réaffirme l’idée que le soft power se construit désormais au rythme syncopé des percussions afrobeat.