Un sommet inédit qui rompt avec les clichés
Prévu du 9 au 11 juillet à Washington, le premier sommet bilatéral organisé par Donald Trump avec cinq chefs d’État africains marque un infléchissement notable dans la posture de l’exécutif américain. Longtemps accusée de considérer l’Afrique comme une périphérie stratégique, la Maison-Blanche entend projeter l’image d’un partenaire réactif en abordant des dossiers économiques, sécuritaires et climatiques. L’initiative met en scène un président qui, malgré une rhétorique parfois rugueuse, cherche à traduire son pragmatisme transactionnel en engagement concret avec des capitales africaines soigneusement choisies.
Les invitations – encore tenues confidentielles – répondent à un double impératif. D’une part, illustrer l’essor d’alliances bilatérales « deux-plus-deux » mêlant investissements privés et coopération militaire. D’autre part, offrir aux dirigeants conviés une tribune pour exposer leurs priorités, du financement des infrastructures à la lutte contre les groupes armés transnationaux. Dans l’entourage présidentiel, un conseiller résume la démarche : « Le président veut montrer que l’Afrique n’est pas un continent d’assistance mais un continent d’opportunités ». Cet accent mis sur la réciprocité nourrit déjà des attentes élevées à Kinshasa, Abuja ou Brazzaville, où l’on espère voir se confirmer la volonté américaine de co-construire des partenariats équilibrés.
Ajustement budgétaire ou révision doctrinale ?
Paradoxalement, l’annonce du sommet intervient alors qu’un mémorandum qui a fuité dans la presse prévoit de réduire de près de 50 % le budget du Département d’État entre 2025 et 2026, soit un passage de 54,4 à 28,4 milliards de dollars. Trente postes diplomatiques – dont dix ambassades – figurent sur la liste des coupes, six se situant en Afrique. Même durant la période de « rétraction impériale » qui suivit la guerre du Viêt Nam, la diplomatie américaine n’avait pas connu un tel effacement structurel.
À Foggy Bottom, certains cadres défendent pourtant cette cure d’amaigrissement, estimant qu’une diplomatie plus légère mais mieux dotée en technologie et en capacités spéciales pourrait gagner en agilité. D’autres soulignent le risque d’un signal brouillé, voire contradictoire, au moment où Washington cherche à rassurer ses partenaires africains. Un ancien ambassadeur commente : « On ne peut pas prétendre renforcer notre présence stratégique si, dans le même souffle, on ferme les portes de nos chancelleries ». L’équation budgétaire pose ainsi la question centrale de la cohérence entre discours d’engagement et instruments de terrain.
Le spectre de la concurrence sino-russe
Tandis que les États-Unis envisagent de replier une partie de leur dispositif, la Chine maintient 53 ambassades sur 55 États africains, tandis que la Russie en aligne désormais près de 47, après une série d’ouvertures en 2023. Pékin, déjà premier partenaire commercial du continent, capitalise sur un réseau diplomatique dense pour soutenir son initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Moscou, de son côté, tire parti d’accords sécuritaires et miniers dans le Sahel et le Bassin du Congo pour accroître son empreinte.
Ce différentiel de présence donne corps à la notion de « vide stratégique » redoutée par plusieurs chancelleries africaines. Comme le souligne une étude récente du Council on Foreign Relations, chaque fermeture d’ambassade américaine crée une asymétrie supplémentaire qui bénéficie mécaniquement aux puissances concurrentes. À l’inverse, la tenue d’un sommet de haut niveau pourrait compenser, en partie, cet effet d’érosion symbolique, à condition d’aboutir à des annonces tangibles et à un calendrier de suivi précis.
Brazzaville, verrou stratégique dans le golfe de Guinée
Parmi les chancelleries potentiellement concernées par les coupes, celle de la République du Congo attire une attention particulière. Située au cœur du golfe de Guinée, Brazzaville représente un point d’ancrage essentiel pour la surveillance maritime, la sécurisation des corridors énergétiques et la coordination régionale contre la piraterie. Le pays, sous la conduite du président Denis Sassou Nguesso, a su préserver une stabilité institutionnelle précieuse au sein d’une zone souvent agitée par des transitions politiques.
Un diplomate congolais confie que « le partenariat stratégique avec Washington reste une constante, quelle que soit l’évolution de la carte des ambassades ». Cette perspective souligne la volonté congolaise de maintenir des canaux de dialogue bilatéraux robustes, en complément des relations historiques entretenues avec la France, la Chine et les institutions multilatérales. En cas de fermeture de la chancellerie américaine, des solutions alternatives – présence itinérante ou renforcement de la section politique à Kinshasa – sont évoquées pour éviter tout effet de rupture. L’enjeu dépasse la symbolique : il touche à la capacité de coordination dans des domaines aussi sensibles que la lutte contre le trafic d’armes ou la protection des forêts du Bassin du Congo, poumon climatique mondial.
Vers une diplomatie plus agile : quelles marges de manœuvre pour l’Afrique ?
À l’approche du sommet, les capitales africaines élaborent déjà leurs feuilles de route. Elles comptent obtenir des clarifications sur les volets énergie verte, digitalisation et résilience sanitaire. Plusieurs dirigeants affirment qu’ils évalueront la pertinence des partenariats proposés moins à travers le montant des enveloppes qu’à travers la prévisibilité des engagements, la transférabilité du savoir-faire et le respect de la souveraineté réglementaire.
Pour Washington, l’exercice s’apparente à un numéro d’équilibriste : rationaliser les coûts tout en projetant un leadership assumé. L’administration Trump mise sur une diplomatie « lean » et sur le catalyseur du secteur privé, notamment via la Development Finance Corporation, pour amplifier l’effet de levier de chaque dollar investi. Reste à démontrer que cette diplomatie de nouvelle génération saura rivaliser avec la constance chinoise et le pragmatisme russe sans sacrifier la proximité indispensable au traitement des crises locales. Les conclusions du sommet, attendues comme un baromètre de la relation États-Unis–Afrique pour la décennie à venir, auront donc valeur de test grandeur nature.