Un rendez-vous stratégique au carrefour des rivalités
Le 17ᵉ Sommet d’Affaires États-Unis-Afrique, organisé par le Corporate Council on Africa, s’est ouvert dans la métropole texane avec un parfum de rivalité géo-économique particulièrement prononcé. Sous la cloche des meetings entre décideurs privés et hauts fonctionnaires, chacun avait en tête l’ombre portée d’acteurs extra-occidentaux – Chine en tête – qui, depuis une décennie, ont redoublé d’audace sur le continent. « Nous ne sommes pas ici pour un concours de déclarations : nous sommes ici pour bâtir », a martelé João Lourenço dès son allocution d’ouverture, plantant le décor d’une diplomatie économique assumée.
L’Angola en quête de diversification post-pétrole
L’économie angolaise demeure sous perfusion des hydrocarbures, lesquels pèsent encore près de la moitié du PIB et plus de 90 % des recettes d’exportation. Conscient de cette dépendance, le chef de l’État a présenté son pays comme laboratoire d’une transition productive africaine, mobilisant les arguments d’une « agriculture sous-exploitée », d’« un sous-sol riche en minerais critiques » et d’un « capital humain jeune et connecté ». Derrière la formule, Luanda cherche à accélérer la conversion de ses recettes pétrolières en infrastructures logistiques capables d’attirer des chaînes de valeur industrielles régionalisées.
Washington entre pragmatisme commercial et diplomatie d’influence
Côté américain, la volonté de rattrapage est palpable : les exportations US vers l’Afrique culminaient à seulement 26 milliards de dollars en 2023, loin des performances chinoises. Le Département du Commerce a donc dépêché une délégation de poids, insistant sur la « complémentarité entre technologies américaines et besoins africains en infrastructures vertes ». Dans les couloirs, des responsables de la Development Finance Corporation reconnaissaient que « la compétition mondiale nous oblige à offrir des financements plus flexibles », signe d’un changement de ton pour contrer l’argument du « tout-digital chinois ».
Corridors logistiques et mobilité des capitaux : un impératif continental
João Lourenço a rappelé que sans corridors efficaces, « les derniers kilomètres resteront les plus coûteux ». Il a plaidé pour une interconnexion ferroviaire transfrontalière et pour l’harmonisation réglementaire afin de fluidifier la circulation des biens, des personnes et des capitaux. Ces remarques épousent la logique de la Zone de libre-échange continentale africaine, entrée en phase opérationnelle mais encore freinée par des divergences tarifaires et la faiblesse des infrastructures douanières.
Des richesses convoitées, une gouvernance scrutée
Si l’Afrique dispose d’environ 30 % des réserves mondiales de minéraux stratégiques, la fiabilité institutionnelle demeure un facteur décisif pour les investisseurs. Les agences de notation pointent régulièrement des faiblesses en matière d’État de droit. Conscient de cet angle mort, Lourenço a souligné ses réformes contre la corruption et la révision du code des investissements qui prévoit désormais la possibilité de rapatrier 100 % des dividendes. « La transparence est notre meilleur atout de compétitivité », a-t-il insisté, anticipant les interrogations des conseils d’administration étrangers.
Vers une sémantique du partenariat mutuellement bénéfique
La rhétorique de la réciprocité a dominé les échanges. Les délégations africaines refusent désormais d’être cantonnées au rôle de pourvoyeuses de matières premières ; elles réclament des transferts de technologie et la localisation de segments à forte valeur ajoutée. Le patron d’une grande firme agro-alimentaire américaine a reconnu qu’« ignorer le potentiel de transformation locale serait un non-sens économique ». Reste que la réalisation de ces ambitions dépendra de la capacité des États à sécuriser un environnement fiscal stable sur la durée des projets, souvent étalés sur deux ou trois décennies.
Un continent entre risques perçus et rendements réels
Les études du cabinet McKinsey montrent que les taux de rendement des investissements directs étrangers en Afrique dépassent en moyenne ceux d’Asie du Sud-Est, une statistique que João Lourenço n’a pas manqué de brandir. Pourtant, la prime de risque exigée par les marchés demeure élevée, conséquence d’une perception encore pénalisante. Dans ce contexte, l’activation de garanties souveraines américaines – via l’Export-Import Bank et le programme Prosper Africa – pourrait abaisser le coût de financement et débloquer des projets à fort impact, notamment dans l’énergie solaire et le numérique inclusif.
De la tribune aux chantiers : l’épreuve des faits
L’enthousiasme diplomatique doit maintenant franchir l’écueil de la mise en œuvre. Les précédentes éditions du sommet ont accouché d’annonces impressionnantes mais parfois restées dans les cartons. Pour éviter cet écueil, Luanda a publié un calendrier de projets prioritaires – zones économiques spéciales, hubs portuaires, fermes intelligentes – soumis à un comité conjoint de suivi réunissant représentants angolais et investisseurs étrangers. « Notre crédibilité se mesurera à la vitesse d’exécution », a averti la ministre angolaise de l’Économie.
Une fenêtre d’opportunité à saisir pour les deux rives
Au terme de quatre jours de discussions, la déclaration finale met en avant la nécessité d’un partenariat « basé sur les principes d’égalité et de prospérité partagée ». Si la formule prête peu à l’originalité, elle reflète un changement de paradigme : l’Afrique ne cherche plus de bienveillance mais des contrats équilibrés, tandis que les États-Unis savent que leur crédibilité passera par le concret. La balle est à présent dans le camp des opérateurs privés, seuls capables de transformer la rhétorique diplomatique en chaînes de montage, en mégawatts supplémentaires et en emplois qualifiés, ultime métrique d’un sommet qui ne veut plus se limiter aux photos officielles.