Une visite stratégique à forte portée symbolique
À Brazzaville, le 24 juin, l’arrivée d’une délégation de vingt-deux hauts gradés et stagiaires de l’Université de la défense nationale (UDN) du Zimbabwe n’avait rien d’un simple exercice protocolaire. Conduite par le général de brigade Francis Chakauya, la mission s’est longuement arrêtée dans l’amphithéâtre de l’Académie militaire Marien-Ngouabi (ACMIL) avant d’examiner les salles de cours, les bâtiments d’état-major et, surtout, la plateforme de simulation numérique qui fait la fierté de l’établissement. L’escale s’est poursuivie à l’École de génie travaux (EGT), vitrine du savoir-faire congolais en matière d’infrastructures militaires. « Nous avons la capacité, en tant qu’Africains, de nous entraîner sur des équipements qui nous permettent de défendre nos intérêts par nous-mêmes », a confié le général Chakauya, plume à la main, dans le livre d’or.
Entre soft power africain et coopération sécuritaire
Le Ministère congolais de la Défense voit dans cette visite un succès de diplomatie de défense sud-sud. Depuis plusieurs années, Brazzaville mise sur l’exportation de son modèle de formation pour asseoir un soft power discret, mais réel, à l’intérieur des réseaux militaires africains. En retour, Harare cherche des partenariats techniques capables de réduire sa dépendance à des fournisseurs extra-continentaux, exacerbée par les sanctions occidentales qui frappent encore une partie de son establishment militaire. La tenue, les 23 et 24 juin, d’une conférence bilatérale sur les opérations de maintien de la paix et l’action de l’État en mer, confirme cette volonté d’élargir le champ de la coopération au-delà du seul entraînement tactique.
Le rôle des académies militaires dans l’autonomie continentale
L’ACMIL, inaugurée en 1973 et modernisée à plusieurs reprises, concentre aujourd’hui des simulateurs opérant sur des scénarios de haute intensité ainsi que des laboratoires de cybersécurité. L’EGT, de son côté, forme des ingénieurs capables de concevoir des ponts modulaires et des pistes d’aviation de campagne, compétences particulièrement recherchées dans les opérations onusiennes en Afrique centrale. Aux yeux de Harare, ces infrastructures incarnent l’idéal d’une école africaine de guerre affranchie des curriculums occidentaux. Les deux directions d’études ont d’ailleurs souligné que leurs programmes intègrent la doctrine de l’Union africaine et les dernières normes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité.
Des attentes réciproques au prisme des équations régionales
Pour le Zimbabwe, enfermé dans une équation économique contrainte, la coopération militaire se double d’une recherche d’opportunités industrielles. Les discussions informelles ont porté sur la coproduction de pièces de rechange pour véhicules blindés et sur l’accès aux savoirs congolais en matière de déminage fluvial, cruciaux dans la basse vallée du Zambèze. Côté congolais, l’intérêt se situe dans le partage d’expérience des forces zimbabwéennes déployées au Mozambique, où elles affrontent une insurrection à forte composante asymétrique. Comme le souligne un officier présent aux échanges, « nos deux armées doivent tirer les leçons de terrains très différents, mais complémentaires, pour bâtir des standards africains de contre-insurrection ».
Impact attendu pour la diplomatie de défense panafricaine
Reçue le soir même par le chef d’état-major congolais, la mission zimbabwéenne a pu mesurer l’importance accordée par Brazzaville à la consolidation de réseaux militaires intra-africains. À court terme, un protocole d’échanges d’instructeurs est envisagé, de même que l’ouverture de stages pour officiers congolais à Harare. Au-delà, l’exercice participe d’un mouvement plus large : la recherche d’une autonomie stratégique que le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur le terrorisme, en 2022, a érigé en objectif commun. Si le chemin reste semé d’embûches – contraintes budgétaires, asymétrie des capacités, persistance d’influences extérieures –, la séquence brazzavilloise démontre que les capitales africaines entendent désormais parler d’égal à égal. La signature annoncée d’un mémorandum de coopération devrait sceller, dans les mois à venir, cette volonté partagée de placer la Défense au cœur d’une diplomatie africaine plus exigeante et plus autonome.