Des ambitions numériques au-delà du fleuve Congo
Au moment où Brazzaville redouble d’efforts pour moderniser son système éducatif, le séjour d’une délégation congolaise dans la capitale technologique de Shenzhen apparaît comme un signal tangible de cette volonté politique. Orchestrée par le bureau de l’Unesco à Brazzaville, la formation au codage intensif et à l’intelligence artificielle a mobilisé cinq lycéens et deux enseignants sélectionnés pour leur maîtrise déjà reconnue des bases informatiques. Pendant une semaine, ils ont travaillé aux côtés d’ingénieurs chinois spécialisés dans l’apprentissage profond, la vision par ordinateur et le traitement automatique des langues, des domaines considérés comme leviers de croissance dans la nouvelle économie mondiale.
Ce déplacement n’est pas isolé : il s’inscrit dans la mise en œuvre, par le ministère de l’Enseignement préscolaire, primaire, secondaire et de l’Alphabétisation, d’une stratégie nationale de transformation numérique. Les autorités congolaises ont, dès 2021, inscrit dans leur Plan national de développement la nécessité de former une main-d’œuvre capable de concevoir, et non seulement de consommer, les technologies de demain. Le partenariat Unesco-Codemao, déjà actif dans une dizaine de pays d’Afrique et d’Asie, constitue ainsi une rampe d’accélération pour atteindre cet objectif.
Une coopération Sud-Sud pragmatique et symbolique
Le choix de Shenzhen, ville passée en quatre décennies du statut de village de pêcheurs à celui de métropole mondiale de l’innovation, revêt une portée diplomatique. Selon la représentante de l’Unesco au Congo, Fatoumata Barry, « la collaboration internationale n’a de sens que si elle aboutit à un transfert effectif de compétences ». L’initiative illustre l’esprit de la coopération Sud-Sud que Brazzaville cultive avec Pékin depuis plusieurs années. Concrètement, le programme se concentre sur le renforcement des capacités plutôt que sur la seule dotation en matériel, à rebours de certains partenariats antérieurs axés sur l’infrastructure sans véritable accompagnement humain.
Pour les enseignants congolais, la formation a couvert la programmation visuelle dédiée aux enfants, méthode qui a fait la réputation de Codemao en Chine. Cette approche ludique permet aux élèves de concevoir des jeux ou des récits interactifs avant même d’aborder les syntaxe plus complexes. Chris Moukana, enseignant au lycée industriel du Premier-Mai, souligne qu’« en Chine, la pédagogie privilégie le passage immédiat de la théorie à la pratique, ce que nous souhaitons reproduire dans nos classes pour ancrer durablement les acquis ». L’accent mis sur le pragmatisme renvoie à la volonté du Congo de se doter d’une génération capable de développer localement des solutions numériques adaptées aux réalités nationales.
L’école de Shenzhen : immersion dans la Deep Tech chinoise
Les bénéficiaires ont évolué dans le technoparc Nanshan, fief de plusieurs entreprises de rang mondial. Sous la houlette de chercheurs ayant contribué aux avancées de la reconnaissance faciale ou de la traduction neuronale, les participants ont mené des mini-projets traitant, par exemple, la classification d’images satellitaires de forêts tropicales ou la génération automatique de récits en français. Cette expérience confère aux lycéens congolais une exposition rare aux enjeux éthiques et industriels de l’IA, très en amont de leurs parcours universitaires.
La dimension interculturelle n’a pas été laissée de côté. Visites de laboratoires, échanges avec des start-up et simulations de concours de code ont permis d’élargir le réseau professionnel des enseignants congolais. Plusieurs entreprises chinoises ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour des partenariats futurs autour de hackathons virtuels incluant des équipes d’Afrique centrale, preuve que la formation a dépassé le cadre académique pour s’inscrire dans une dynamique économique.
Vers un écosystème éducatif enrichi à Brazzaville
Le défi, désormais, consiste à capitaliser sur ces nouvelles compétences. Le ministère de l’Enseignement général envisage de créer, dès la prochaine rentrée, un module optionnel d’initiation à l’IA dans les lycées techniques de Brazzaville et Pointe-Noire. Les enseignants formés à Shenzhen serviront de formateurs de formateurs pour multiplier l’impact de la mission. D’ores et déjà, un premier atelier pilote a été fixé pour le mois d’octobre, avec la participation d’inspecteurs de l’éducation nationale afin d’adapter les syllabus existants.
À plus long terme, les autorités projettent de connecter cette montée en compétence à la stratégie de diversification économique. Les secteurs agricoles et forestiers, pourvoyeurs d’emplois, devraient bénéficier d’outils d’analyse prédictive développés localement. En encourageant de jeunes codeurs à résoudre des problématiques nationales, l’État soutient la construction d’une souveraineté numérique, thème récurrent dans les discours publics depuis la mise en place du Réseau national de recherche et d’éducation en 2019.
Lecture géopolitique d’un échange académique
Au-delà de l’aspect pédagogique, la mission de Shenzhen illustre la place croissante qu’occupe l’IA dans la diplomatie scientifique. Pour Brazzaville, investir dans la formation de sa jeunesse conforte son image de partenaire fiable et ambitieux auprès des institutions multilatérales. Pour Pékin, ces programmes de bourses renforcent l’influence douce chinoise sur un continent stratégique. L’Unesco, quant à elle, y voit la concrétisation de son mandat de réduction de la fracture numérique.
Cette triangulation d’intérêts n’enlève rien à l’autonomie du Congo, qui conserve la maîtrise de ses orientations éducatives tout en profitant d’expertises étrangères. Les diplomates interrogés évoquent une coopération gagnant-gagnant, qui, loin de toute polémique, s’inscrit dans un pragmatisme partagé : former les compétences d’aujourd’hui pour résoudre les défis de demain.
Un pari sur la jeunesse et la souveraineté numérique
En ramenant de Shenzhen une connaissance opérationnelle de l’intelligence artificielle, les sept participants deviennent des relais essentiels d’un projet national plus vaste. Le Congo mise sur sa jeunesse pour consolider une souveraineté numérique encore en gestation, conscient que l’avenir du pays se jouera autant dans les salles de classe que dans les salles de marché. À ce titre, le soutien gouvernemental à la formation constitue un investissement stratégique plutôt qu’une simple dépense. L’engagement affiché par les autorités, allié à l’expertise de partenaires internationaux, ouvre la voie à un écosystème où l’innovation n’est pas un slogan, mais une perspective concrète.
Le périple de Shenzhen rappelle enfin que l’intelligence artificielle, souvent perçue comme un horizon lointain, peut prendre racine dans les réalités quotidiennes de Brazzaville. Le retour de ces jeunes codeurs marque donc un jalon, modeste mais décisif, dans la construction d’un Congo résolument tourné vers l’économie de la connaissance.