Une réception présidentielle pleine de symboles
Sous les lambris du Palais du Peuple, l’accueil réservé au Directeur général de Shelter Afrique, Thierno-Habib Hann, tenait plus de la chorégraphie institutionnelle que du simple protocole. Le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, a tenu à présider personnellement la première audience du 7 juillet 2025, rappelant que le Congo figure parmi les membres fondateurs de la banque panafricaine de l’habitat. L’accolade chaleureuse échangée devant la presse a envoyé un signal clair : Brazzaville entend reconquérir une place de choix dans l’architecture financière continentale.
Dans son propos liminaire, le Président a souligné « l’urgence partagée d’offrir à la jeunesse africaine un toit digne et un avenir stable » tout en vantant la résilience économique congolaise face aux chocs exogènes. La tonalité, résolument optimiste, s’inscrit dans une stratégie de communication qui conjugue souveraineté nationale et ouverture aux capitaux africains.
Shelter Afrique, catalyseur d’un marché continental du logement
Créée en 1982, Shelter Afrique se présente comme la seule institution financière africaine exclusivement dédiée au financement de l’habitat et de l’urbanisme. Présente dans quarante-quatre pays, elle affiche un portefeuille de plus de 1,5 milliard de dollars. À Brazzaville, son directeur général a rappelé que « chaque dollar investi dans le logement génère jusqu’à cinq dollars d’impact économique dans les secteurs connexes ». Un argumentaire qui trouve un écho particulier dans une économie congolaise en quête de diversification post-pétrolière.
Depuis trois ans, l’institution joue le rôle d’architecte financier auprès de plusieurs capitales africaines, dessinant des schémas de titrisation adossés aux recettes fiscales du foncier urbain. Cette ingénierie, déjà opérationnelle à Kigali et Abidjan, attire l’attention des autorités congolaises qui cherchent à accélérer la livraison de 12 000 unités de logement à coûts maîtrisés, objectif inscrit au Plan national de développement 2022-2026.
Brazzaville face au défi persistant de l’habitat urbain
Alors que plus de 65 % de la population congolaise vit désormais en zone urbaine, la capitale subit une forte pression démographique. Les quartiers de Mfilou, Talangaï ou encore Kintelé voient fleurir des habitats spontanés où l’accès à l’eau potable et à l’électricité reste aléatoire. Sur le plan strictement budgétaire, l’allocation annuelle consacrée au logement social stagne autour de 0,8 % du PIB, un ratio inférieur à la moyenne de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
La venue de Thierno-Habib Hann intervient donc à un moment charnière. Le ministre de l’Aménagement du territoire et des Grands travaux, Jean-Jacques Bouya, a confirmé la signature prochaine d’un protocole d’accord portant sur un crédit-cadre de 200 millions de dollars destiné, d’une part, à la réhabilitation de cités universitaires et, d’autre part, à la construction de nouveaux pôles résidentiels à Kintélé et Dolisie. « Nous voulons bâtir des villes compactes capables d’offrir des services de base performants », a-t-il déclaré à la presse.
Un agenda mêlant standards financiers et solidarité panafricaine
Au cours de la table ronde organisée le 8 juillet dans les locaux de la Banque des États de l’Afrique centrale, les experts ont scruté les termes de référence d’un premier emprunt obligataire libellé en francs CFA, garanti par ShafDB et destiné aux investisseurs institutionnels de la zone CEMAC. L’objectif vise à abaisser le coût du crédit foncier, encore supérieur à 9 % pour les ménages congolais, en mutualisant le risque au niveau régional.
La démarche s’inscrit aussi dans la philosophie de coopération Sud-Sud défendue par Shelter Afrique : favoriser l’épargne africaine pour financer le développement africain. Pour le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, « l’innovation réside dans la création d’une chaîne de valeur intégrée unissant banques locales, promoteurs immobiliers et autorités municipales ». Une telle articulation, rarement observée dans la sous-région, pourrait faire de Brazzaville un laboratoire de la finance urbaine inclusive.
Vers une nouvelle architecture urbaine inclusive
Au-delà des chiffres, le séjour congolais de Thierno-Habib Hann aura mis en lumière une convergence de vues entre État, partenaires financiers et société civile. Les représentants de la Fédération des locataires du Congo ont insisté sur la nécessité d’introduire des quotas réservés aux femmes cheffes de ménage et aux jeunes couples, rappelant que la cohésion nationale passait aussi par l’équité d’accès au logement.
La signature attendue du protocole d’accord dans les prochaines semaines pourrait ouvrir la voie à une première tranche de 2 500 logements sociaux dès 2026. Brazzaville se positionnerait alors comme un pôle d’expérimentation continentale accordant toute sa place à la durabilité environnementale : matériaux biosourcés, solutions solaires off-grid et traitement raisonné des eaux usées figurent déjà dans le cahier des charges.
À l’issue de la mission, M. Hann s’est déclaré « optimiste quant à la capacité congolaise de transformer la pression urbaine en opportunité économique ». Un propos que plusieurs chancelleries ont interprété comme une invitation à un alignement plus large des bailleurs régionaux derrière l’agenda de l’exécutif congolais. Dans le jeu d’équilibre diplomatique qui caractérise l’Afrique centrale, Brazzaville entend ainsi démontrer que la stabilité politique peut devenir un levier de mobilisation de capitaux en faveur d’objectifs sociaux tangibles.