À Hangzhou, la géoéconomie s’invite dans la Vision Sénégal 2050
Depuis le West Lake de Hangzhou, réputé pour avoir inspiré les poètes de la dynastie Song, la délégation sénégalaise menée par le Premier ministre Ousmane Sonko a signé le 22 juin 2025 une salve d’accords qui s’annoncent structurants. Les documents paraphés couvrent l’industrie légère, les infrastructures de transport et le logement, trois maillons jugés décisifs par le gouvernement de Dakar pour hisser le pays au rang d’économie émergente d’ici à 2050. En retour, Pékin consolide son ancrage sur une façade atlantique encore peu densifiée par sa présence commerciale, une aspiration devenue stratégique depuis la redéfinition des chaînes logistiques asiatiques.
Le secteur privé, nouveau moteur de la coopération sino-sénégalaise
En sortie de séance, Ousmane Sonko a insisté sur « l’encouragement des partenariats privé-privé », faisant écho à la Stratégie Nationale de Développement 2025-2029 qui place l’entreprise au cœur de la création de valeur. La tonalité diffère sensiblement des années 2010, marquées par des financements chinois principalement étatiques. Désormais, les instruments de crédit à l’export de Pékin ciblent davantage les champions régionaux et les joint-ventures, moins visibles politiquement mais jugés plus résilients au regard de la conjoncture financière internationale.
Tourisme et logements sociaux, vitrines d’une diplomatie économique
Dans les couloirs feutrés du forum, Dr He Leehui, patron de Touchroad International Holdings Group, a affirmé sa volonté de « faire venir beaucoup de touristes au Sénégal » tout en soulignant l’expertise de son conglomérat dans le logement social. L’alliance du tourisme et de l’habitat illustre la capacité chinoise à proposer une offre intégrée, allant des vols charters aux matériaux de construction. Il s’agit aussi pour Dakar de désengorger les quartiers périphériques de la capitale, un défi urbain dont la résolution pèse sur la stabilité sociale et, in fine, sur l’attractivité des investissements industriels.
Un partenariat sous le regard des bailleurs et des citoyens
Les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 1,5 milliard de dollars en 2023, chiffre modeste à l’échelle des relations sino-africaines mais significatif pour une économie sénégalaise dont le PIB dépasse à peine 30 milliards de dollars. Ce ratio nourrit autant l’optimisme des investisseurs que la vigilance des bailleurs multilatéraux, Banque mondiale et BAD en tête, soucieux d’éviter un alourdissement de la dette externe. Sur le plan domestique, la société civile sénégalaise réclame plus de transparence sur la gouvernance des PPP et sur la ventilation locale des retombées fiscales.
Diversifier les dépendances pour éviter le tête-à-tête exclusif
Si la Chine n’est encore que le troisième partenaire commercial du Sénégal, la dynamique actuelle pourrait rapidement inverser l’ordre de préséance occupé par les Pays-Bas et le Mali. Le ministère sénégalais des Finances rappelle toutefois qu’une diversification des flux reste impérative afin de préserver les marges de négociation. À Bruxelles comme à Washington, l’activisme chinois est scruté avec une attention redoublée, certains diplomates européens soulignant la nécessité d’une offre alternative crédible, notamment dans la logistique portuaire et l’agro-industrie.
Entre pragmatisme et vigilance, l’heure des arbitrages
Les engagements de Hangzhou s’inscrivent dans un contexte où les recettes budgétaires sénégalaises dépendent encore de la volatilité des cours des hydrocarbures et de la diaspora. Les autorités cherchent donc un équilibre entre ouverture au capital étranger et souveraineté économique. La route vers 2050 passera autant par la modernisation des parcs industriels que par la consolidation d’institutions régulatrices capables d’arbitrer les différends contractuels. À cet égard, l’expérience d’autres États africains ayant renégocié d’importants contrats de BRI constitue un précieux manuel d’anticipation pour Dakar.
Cadrage final : l’opportunité d’une diplomatie calibrée
En rentrant de Hangzhou, la délégation sénégalaise ramène plus que des promesses financières : elle rapporte un test grandeur nature de la capacité du pays à absorber des investissements à forte intensité capitalistique tout en préservant une cohérence stratégique. La partie chinoise, elle, voit dans cette coopération une plaque-tournante atlantique complémentaire à son réseau d’infrastructures orienté sur l’océan Indien. La prochaine Commission mixte, prévue début 2026 à Dakar, dira si l’enthousiasme actuel se convertit en chantiers livrés et en emplois durables, seule métrique réellement audible par les citoyens et les marchés.