Un contexte international sous haute tension énergétique
À écouter Fouzi Lekjaa devant la commission du contrôle des finances publiques, l’année 2023 ressemble à un exercice d’équilibriste. L’économie mondiale n’a progressé que de 3,3 %, lestée par une inflation encore inconfortable et par la persistance de foyers géopolitiques – de la mer Noire au golfe Persique – qui ont alimenté la volatilité des prix énergétiques et alimentaires. Dans cet horizon brouillé, Rabat devait composer avec la remontée des taux d’intérêt, le durcissement des conditions de liquidité et la fragmentation des chaînes de valeur. La chute de l’inflation globale de 8,6 % à 6,6 % a certes offert un répit, mais la prudence restait de mise pour une économie émergente qui importe encore massivement ses hydrocarbures.
Résilience macroéconomique et diplomatie financière marocaine
Le récit gouvernemental souligne une « adaptabilité renouvelée » de l’appareil productif. Avec une croissance passée de 1,5 % en 2022 à 3,4 % l’an dernier, le Maroc se place dans la moyenne haute de la région MENA. Cette performance tient essentiellement à la vigueur des secteurs non agricoles (+3,5 %) – automobile, aéronautique, phosphates transformés et offshoring – qui constituent désormais le fer de lance de la diplomatie économique du royaume. « Le Maroc tire profit de la relocalisation de chaînes de production européennes en quête de proximité et de stabilité », souligne un analyste de la BERD.
Le message adressé aux bailleurs multilatéraux est clair : Rabat reste un partenaire fiable, capable de protéger le pouvoir d’achat tout en évitant la dérive des comptes publics. L’agence Standard & Poor’s a d’ailleurs confirmé la perspective « stable », une décision accueillie par le ministère des Finances comme un signal invitant à poursuivre les réformes structurelles sans relâcher la vigilance.
Maîtrise du déficit et discipline budgétaire
Sur le papier, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 485,2 milliards de dirhams de recettes pour 532,9 milliards d’engagements, soit un taux de réalisation supérieur à 114 %. Le déficit s’établit à 4,4 % du PIB, contre 5,4 % en 2022 et un objectif initial de 4,5 %. Cette réduction, quoique modeste, matérialise l’efficacité des mesures de rationalisation des dépenses courantes et de ciblage des subventions. Rabat a choisi de protéger les plus vulnérables tout en accélérant la revue des dépenses fiscales, démarche saluée par le FMI lors de la dernière consultation de l’article IV.
La dette publique recule pour sa part de deux points, à 69,5 % du PIB. Une performance qui découle autant de la croissance nominale que d’une gestion active du portefeuille d’emprunts, marquée par le recours opportuniste aux marchés internationaux au premier semestre 2023, avant la contagion des tensions bancaires américaines.
Gestion des chocs internes : sécheresse et séisme d’Al Haouz
Si la discipline budgétaire est louable, elle n’occulte pas l’ampleur des défis intérieurs. La troisième année consécutive de sécheresse a érodé la valeur ajoutée agricole, dont la reprise n’atteint que 1,4 %. Dans un pays où l’emploi rural demeure prépondérant, la question hydrique s’impose désormais comme un déterminant majeur de la stabilité sociale. Le gouvernement a multiplié les transferts de crédits vers les programmes d’irrigation d’urgence et la désalinisation, tout en maintenant les stocks stratégiques de céréales à un niveau jugé « confortable ».
Le tremblement de terre du 8 septembre dans la région d’Al Haouz a, lui, ravivé la mémoire collective des catastrophes naturelles. Les autorités ont dégainé, sous l’impulsion directe du Roi Mohammed VI, un programme de reconstruction de 120 milliards de dirhams, financé pour partie par un fonds spécial et pour partie par des réaffectations budgétaires. Cette réactivité a limité l’impact macroéconomique immédiat et, surtout, renforcé la légitimité de l’État auprès des populations de l’Atlas.
Consolidation des réserves et crédibilité extérieure
Le rétrécissement du déficit commercial – grâce à un repli de la facture énergétique et à la ferme progression des exportations automobiles et phosphatières – a permis aux réserves en devises d’atteindre 359 milliards de dirhams, soit 5 mois et demi d’importations. Cet amortisseur externe protège le dirham et facilite la transition vers un régime de change plus flexible, objectif que Bank Al-Maghrib continue de piloter avec prudence.
Sur le front de la conformité financière, la sortie simultanée des listes grises du GAFI et de l’Union européenne a dissipé un nuage réputationnel vieux de trois ans. « Un gage de sérieux dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme », juge un diplomate européen à Rabat, qui y voit aussi un levier pour attirer davantage d’Investissements directs étrangers, particulièrement dans les énergies renouvelables.
Enjeux 2024 : réformes structurelles et vulnérabilités persistantes
La consolidation budgétaire de 2023 offre une marge de manœuvre, mais le gouvernement sait que la trajectoire reste fragile. La généralisation imminente de l’Assurance maladie obligatoire et l’opérationnalisation du Registre social unifié vont augmenter les pressions sur les finances publiques. Parallèlement, le chantier de la réforme fiscale – visant une meilleure progressivité et une élargissement de l’assiette – demeure politiquement sensible à un an seulement des élections communales.
En toile de fond, la question hydrique pourrait devenir le principal facteur de volatilité macroéconomique, un choc climatique supplémentaire pouvant annuler les gains engrangés sur le front de la dette. L’exécutif parie sur la poursuite de la diversification industrielle (hydrogène vert, batteries électriques) pour renforcer ses recettes en devises et réduire sa dépendance aux importations d’énergie fossile. À court terme, le maintien de la notation investment grade apparaît comme la clé pour accéder à des lignes de financement à coût modéré, condition sine qua non pour financer un agenda social et climatique exigeant.