La Sangha, maillon essentiel du dispositif électoral
Sur la carte électorale congolaise, le département de la Sangha occupe une place singulière. Cette zone forestière frontalière du Cameroun et de la Centrafrique a longtemps constitué, pour le Parti congolais du travail, un réservoir de voix confortant la stabilité de sa majorité. Les statistiques issues des scrutins de 2016 et 2021 révèlent un soutien oscillant entre 85 % et 90 % en faveur du président Denis Sassou Nguesso, un ancrage que certains analystes décrivent comme « stratégique » pour la consolidation du pouvoir central (Centre d’études politiques de Brazzaville).
Or, la géographie ne suffit pas à expliquer cette fidélité. Les programmes d’infrastructures routières, la relance sélective de l’exploitation forestière et, plus récemment, l’inauguration d’un corridor numérique reliant Ouesso à Pokola, ont entretenu un sentiment d’intégration au projet national. À l’horizon 2026, conserver ce capital politique passe par une organisation de campagne sans accrocs, d’où l’effervescence perceptible autour de la direction départementale.
Cohésion interne : une priorité brandie par le PCT
Le 31 juillet 2025, le secrétaire général Pierre Moussa a réuni, à Ouesso, une soixantaine de cadres et de militants pour une réunion à huis clos. Selon une source ayant assisté aux échanges, l’ambiance était « studieuse, mais tendue ». Le chef du secrétariat a rappelé que « la discipline librement consentie demeure la colonne vertébrale de notre mouvement ». Cette injonction à l’unité s’inscrit dans la culture politique du PCT, dont la verticalité est réputée protéger le parti des éclats publics.
Toutefois, l’émergence de nouvelles générations de responsables locaux, formées pour partie à l’étranger ou au sein de la société civile, redessine les lignes de forces traditionnelles. À la faveur des réseaux sociaux, leurs revendications de visibilité échappent parfois aux canaux classiques. La direction nationale sait que l’arbitrage précipité d’une querelle interne pourrait être perçu, aux confins du département, comme un signal négatif, d’où la prudence affichée.
Pierre Moussa, pivot et garant de la ligne rouge
Le profil de Pierre Moussa, ancien ministre du Plan puis dirigeant de la Banque de développement des États d’Afrique centrale, lui confère une crédibilité dans la gestion des équilibres régionaux. Dans la Sangha, son discours a rappelé la portée symbolique du sixième congrès ordinaire du PCT prévu début 2026. L’enjeu consiste à « fermer la porte aux ego pour ouvrir celle des idées », selon l’expression d’un cadre qu’il aurait employée en aparté.
Des noms circulent déjà dans les salons de Brazzaville comme dans les couloirs des permanences : un ancien préfet de Ouesso réputé proche du ministère de l’Intérieur, une parlementaire issue de la diaspora, ou encore un entrepreneur forestier adoubé par la notabilité traditionnelle. Aucun ne s’est déclaré publiquement, mais chacun soigne ses relais communautaires, finance discrètement des initiatives sociales et multiplie les déplacements sur le terrain.
Vers une feuille de route calibrée pour 2026
L’architecture de la campagne présidentielle future reposera, selon des documents de travail internes à la majorité, sur trois axes : la valorisation des réalisations tangibles, l’accent mis sur la paix intérieure et la projection d’une modernité inclusive. Dans la Sangha, ces principes se traduisent par la poursuite de chantiers routiers vers Sembé, la consolidation du réseau de distribution d’électricité jusqu’à Souanké et la création d’un hub logistique pour le commerce frontalier.
Pour orchestrer la mobilisation, le futur directeur de campagne devra non seulement afficher une loyauté sans faille à l’égard du président, mais aussi démontrer sa capacité à dialoguer avec les opérateurs économiques locaux, garants de l’emploi dans la filière bois. À Brazzaville, on laisse entendre que le choix interviendra « à l’issue d’une consultation élargie », une formule qui laisse la porte ouverte à un arbitrage du chef de l’État lui-même.
Regards croisés d’experts et de diplomates
Pour François Ngabé, chercheur à l’Institut congolais d’études stratégiques, « la question n’est pas de savoir si la Sangha votera massivement pour Denis Sassou Nguesso, mais de maintenir un taux de participation suffisamment élevé pour asseoir la légitimité du scrutin ». Un diplomate d’Afrique centrale en poste à Brazzaville confirme en privé que « la stabilité de la majorité présidentielle dans ce département sert de baromètre à l’ensemble de la région Cuvette-Ogooué ».
À quinze mois de l’ouverture officielle de la campagne, il serait prématuré d’annoncer un favori. La tradition politique congolaise accorde la prime au consensus. Le message adressé par le secrétaire général se lit donc en creux : l’heure n’est pas à la rivalité ostentatoire, mais à la construction patiente d’un front commun. Dans un système rodé, la discrétion vaut arme, et la loyauté, passeport.