Un vote au parfum d’unanimité qui résonne au-delà de l’isthme centraméricain
À San Salvador, les parlementaires du Parlacen ont, sans la moindre voix dissonante, entériné la résolution soutenant le plan d’autonomie proposé par Rabat pour ses provinces sahariennes. Cette unanimité tranche avec les habituelles fractures idéologiques du forum régional, reflet d’une rare convergence au sein d’une instance regroupant six États d’Amérique centrale et de la République dominicaine. S’exprimant à l’issue du vote, son président Carlos Hernández a salué « une solution sérieuse, pragmatique et crédible qui mérite l’adhésion de la communauté internationale », reprenant mot pour mot la terminologie déjà employée par plusieurs capitales européennes.
Le contexte latino-américain : une lecture post-idéologique du dossier saharien
Longtemps, la position des pays latino-américains sur la question du Sahara occidental a suivi les lignes de fracture héritées de la guerre froide, plusieurs gouvernements de gauche reconnaissant la « RASD ». Or, la recomposition politique observée depuis une décennie a rebattu les cartes : préoccupés par la stabilité régionale et les opportunités économiques, nombre d’exécutifs privilégient désormais une lecture réaliste du conflit. Le rapprochement méthodique de la diplomatie marocaine avec les capitales centraméricaines – Saint-Domingue, San Salvador ou Guatemala – s’est doublé d’un activisme parlementaire, favorisé par le statut d’observateur accordé au Maroc au sein du Parlacen en 2014. Dix ans plus tard, l’effet cumulatif de missions parlementaires, de programmes de formation et d’échanges économiques apparaît décisif.
Un alignement avec l’option onusienne de compromis
En qualifiant l’autonomie de « seule issue viable », le Parlacen se place dans la même veine que les résolutions successives du Conseil de sécurité, qui, depuis 2007, saluent ce plan comme « sérieux et crédible ». Le secrétaire général adjoint aux opérations de paix rappelait récemment que le mandat de la MINURSO vise d’abord à « parvenir à une solution politique mutuellement acceptable ». Dans cette logique, l’appui centraméricain conforte l’approche par consensus, aux antipodes d’une indépendance unilatérale. Pour Rabat, l’argumentaire est clair : plus l’éventail des soutiens s’élargit, plus l’option d’autonomie gagne en légitimité et l’hypothèse référendaire s’éloigne.
Implications stratégiques pour Rabat, Alger et les capitales occidentales
Sur le plan bilatéral, la résolution apporte à Rabat une caution symbolique venue d’un sous-continent historiquement moins sollicité dans ce dossier. Selon un diplomate marocain, « l’intérêt n’est pas tant le poids institutionnel du Parlacen que la dynamique qu’il crée, en particulier vis-à-vis des pays encore indécis ». Pour Alger, défenseur du Front Polisario, la séquence accroît la pression diplomatique : chacune de ces reconnaissances érode le socle de soutiens traditionnels au sein du Sud global. À Washington et Bruxelles, enfin, cette consolidation renforce l’argument d’une solution pragmatique susceptible de garantir la stabilité du Maghreb, zone charnière pour la sécurité énergétique européenne et la lutte antiterroriste.
Du forum économique salvadorien aux chantiers de Laâyoune : l’économie comme vecteur d’adhésion
La réaffirmation politique s’est doublée d’un volet économique. En marge de la session plénière, le Parlement centraméricain a co-organisé un Forum sur l’investissement et le développement, ouvert par le vice-président salvadorien Félix Ulloa et le président de la Chambre haute marocaine, Mohamed Ould Errachid. Dans les couloirs du Centre international des congrès, les discussions ont mis en avant la « feuille de route Sud-Sud » prônée par Rabat : zones franches, agriculture irriguée, énergies renouvelables. L’argument se veut tangible : les provinces sahariennes, dotées d’un nouveau modèle de développement de près de 7 milliards de dollars, offrent un laboratoire de coopération triangulaire reliant Afrique, monde arabe et Amérique centrale. En avril dernier, la délégation du Parlacen avait déjà signé à Laâyoune une déclaration saluant les infrastructures portuaires de Dakhla-Atlantique et la percée des start-ups sahariennes dans l’économie bleue.
La décennie marocaine au Parlacen : chronique d’un patient soft power
Observer au Parlacen ne signifie ni droit de vote ni pouvoir de veto, mais le statut ouvre les portes des commissions thématiques, des missions électorales et des initiatives de diplomatie parlementaire. Depuis 2014, Rabat a exploité ce levier avec constance : invitations réciproques de parlementaires, bourses universitaires, partages d’expériences sur la gestion migratoire ou la lutte contre le terrorisme. Selon l’universitaire salvadorien Julio Rivera, « le Maroc a compris qu’un accompagnement technique de long terme pèse parfois davantage qu’un lobbying classique ». La remise à Ould Errachid d’un certificat honorifique, soulignant le rôle de la Chambre des conseillers dans « la consolidation interparlementaire », consacre ce patient travail d’influence.
Perspectives : vers un élargissement du cercle de soutien
L’adoption d’une résolution n’épuise évidemment pas un différend vieux de près d’un demi-siècle. Toutefois, elle s’inscrit dans une tendance lourde : la multiplication de reconnaissances, de Washington à Madrid, de Kigali à Abu Dhabi, conforte l’idée que la fenêtre de négociation se réduit, au détriment des partisans du statu quo. Plusieurs observateurs anticipent que d’autres parlements régionaux latino-américains – Parlacén dans la région andine, Parlasur au Mercosur – pourraient emboîter le pas, sous l’impulsion de réseaux parlementaires désormais rompus à la coopération avec Rabat. Dans l’entourage du médiateur onusien Staffan de Mistura, on se félicite d’un climat « plus propice à la recherche d’un compromis réaliste ».
Entre symbolique et réel : ce que révèle le cas centraméricain
Au-delà de la portée immédiate de la résolution, l’épisode souligne la montée en puissance des diplomaties parlementaires dans la fabrique des consensus internationaux. Il rappelle aussi la mutation d’un dossier saharien longtemps cantonné à un récit tiers-mondiste : l’heure est à la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, à la transition énergétique et au positionnement géostratégique des ports atlantiques. La décision du Parlacen, organisation certes modeste mais insérée dans les architectures régionales, consacre l’idée que l’argument du réalisme l’emporte progressivement sur celui du maximalisme.