Soft power congolais : la diplomatie par le mouvement
Il est des victoires symboliques qui, à elles seules, condensent les ambitions d’un pays en quête de rayonnement. L’obtention, par la chorégraphe congolaise Sabrina Bitsangou – plus largement connue sous le nom de Sam BB – de son diplôme au sein de la formation « Afrique diaspora » de l’École des sables, au Sénégal, s’inscrit dans cette dynamique. Dans un contexte international où la compétition d’influence se joue bien au-delà des tribunes politiques, la danse contemporaine devient un outil de soft power à part entière. La République du Congo, soucieuse de valoriser sa culture, peut légitimement se prévaloir d’un nouvel atout, incarné par une artiste qui conjugue exigence esthétique et conscience citoyenne.
Un parcours d’excellence au service d’une identité plurielle
Âgée de trente-et-un ans, Sam BB a grandi dans les rues vibrantes de Brazzaville avant de se forger, au fil des workshops et des résidences, une grammaire personnelle où se répondent danses urbaines, gestuelle contemporaine et récit identitaire. Membre du centre d’art contemporain Les ateliers Sahm depuis 2017, elle a pu, grâce à des programmes tels que Visa pour la création de l’Institut français, le Garage Aarau ou encore le Prix Prince Claus 2024, consolider une carrière internationale sans jamais rompre le cordon ombilical avec son terreau congolais. « Je porte dans mes muscles la mémoire du fleuve et le souffle des marchés de Poto-Poto », confiait-elle récemment à la radio nationale, revendiquant la dimension polysémique de son art, entre mémoire collective et quête d’universalité.
L’École des sables : incubateur panafricain et levier d’intégration régionale
Fondée par la chorégraphe sénégalaise Germaine Acogny, l’École des sables est souvent comparée à un Davos de la danse africaine. Sa formation « Afrique diaspora » réunit, chaque année, une trentaine de talents issus du continent et de ses diasporas, dans un esprit de transmission horizontale où chaque culture nourrit les autres. Pour Sam BB, y être la seule représentante du Congo équivalait à porter, sur ses épaules, la visibilité d’une nation. Les modules mêlant technique, anthropologie du geste et histoire des résistances culturelles ont renforcé ses compétences pédagogiques, la rendant désormais apte à conduire des ateliers certifiés sur les cinq continents. Comme le souligne le responsable des programmes Afrique centrale de l’UNESCO, « ces trajectoires individuelles pèsent d’un poids certain dans la diplomatie culturelle multilatérale, car elles créent d’emblée un capital de confiance et de fascination ».
Nsaka Dance : un écosystème brazzavillois en pleine expansion
En 2019, Sam BB a fondé le festival Nsaka Dance, devenu en quelques éditions la vitrine des danses urbaines émergentes d’Afrique centrale. Installé dans les espaces publics de la capitale, le rendez-vous fédère jeunes créateurs, chorégraphes confirmés et acteurs institutionnels. Sous l’égide du ministère congolais de l’Industrie culturelle, le projet bénéficie d’alliances avec les ambassades partenaires et les organismes de coopération. Le caractère participatif du festival, qui fait dialoguer tradition tchikounda et expérimentation contemporaine, contribue à renforcer la cohésion sociale, enjeu qu’observe de près la communauté diplomatique établie à Brazzaville. Le conseiller culturel de l’Union africaine y voit « un laboratoire d’intégration régionale par les arts ».
Vers une stratégie nationale d’exportation du talent chorégraphique
Le diplôme de l’École des sables n’est pas qu’une distinction individuelle : il offre au Congo une opportunité de structurer son action extérieure autour de la mobilité artistique. Dans un pays qui a déjà positionné la musique et la littérature comme ambassadeurs officieux, la danse contemporaine peut jouer le rôle d’interface supplémentaire avec les bailleurs, les instituts culturels et les circuits de festivals. À l’heure où les grandes capitales mondiales réservent des résidences à la création africaine, la présence d’une formatrice certifiée ouvre la voie à un échange réciproque de compétences, tout en consolidant la marque « Made in Congo » dans l’imaginaire des publics étrangers.
Un corps-diplomate pour l’avenir
Sam BB aime à répéter que « le corps est une scène ». Il est désormais également une chancellerie en mouvement, dont chaque geste peut servir les intérêts d’un État soucieux d’une image ouverte et inventive. Les prochains mois diront comment l’artiste articulera son agenda entre tournées, résidences européennes et formation des jeunes danseurs congolais. Pour l’heure, son parcours illustre de façon exemplaire la capacité d’initiative d’une génération qui, loin de tourner le dos à ses institutions, souhaite les accompagner vers une diplomatie plus culturelle, plus inclusive et plus stratégiquement ancrée dans les réseaux internationaux.