Une ambition continentale propulsée par le Sahel
Au cœur de la saison sèche burkinabè, les ministres de l’Énergie du Sahel ont choisi Ouagadougou pour faire le point sur Desert to Power, un programme qui, depuis 2019, revendique l’objectif singulier d’injecter 10 gigawatts de solaire dans les réseaux électriques de cinq pays enclavés. L’initiative de la Banque africaine de développement (BAD) se présente comme un levier d’intégration régionale autant qu’un impératif climatique, aspirant à convertir l’insolation abondante en moteur de croissance inclusive. Le chiffre – 10 GW – résonne comme un symbole : il dépasserait, à terme, la capacité installée cumulée actuelle de plusieurs États sahéliens réunis, marquant un glissement stratégique d’une dépendance aux combustibles fossiles vers une matrice énergétique décarbonée.
La diplomatie de l’énergie à l’épreuve du financement
Depuis la première table ronde de 2019, la BAD orchestre un ballet d’ingénierie financière où se croisent prêts concessionnels, garanties souveraines et partenariats public-privé. Kevin Kariuki, vice-président chargé de l’Énergie, souligne « la transformation des défis en opportunités » et chiffre à plus de quinze le nombre de projets déjà engagés. Le Projet Yeleen On Grid, connecté au réseau burkinabè, illustre cette approche graduelle : centraliser, stabiliser, puis étendre. Le montage requiert cependant un alignement délicat entre la soutenabilité de la dette publique et l’appétit des investisseurs privés, dans une région classée à haut risque par les agences de notation.
Des sociétés d’électricité appelées à un sursaut de gouvernance
Les ministres sahéliens ont placé la performance des utilities nationales au cœur des débats. Derrière les mégawatts projetés, la viabilité des compagnies nationales demeure un talon d’Achille : faibles taux de recouvrement, pertes techniques élevées et sous-capitalisation chronique. Yacouba Zabré Gouba a plaidé pour « fédérer les efforts » et a rappelé les gains concrets obtenus grâce aux centrales de Ouagadougou et de Gaoua. Les participants ont approuvé un plan d’action visant à renforcer la régulation, moderniser les réseaux de distribution et instaurer des mécanismes tarifaires transparents capables d’attirer les producteurs indépendants sans grever le pouvoir d’achat des ménages.
IPP et Green Mini Grid : la fenêtre d’opportunité pour le secteur privé
Pour accélérer la cadence, la BAD a présenté un protocole unifié encadrant la relation entre États et producteurs indépendants d’électricité. Conçu comme un « contrat-type », il devrait réduire la durée des négociations et clarifier le partage des risques. En parallèle, la stratégie Green Mini Grid cible l’électrification de villages isolés grâce à des micro-réseaux solaires hybrides, modèle déjà testé avec succès en République du Congo où les autorités ont su conjuguer leadership politique et attractivité pour les investisseurs. La transposabilité de ce savoir-faire au Sahel illustre la montée d’une solidarité Sud-Sud qui, sans remettre en cause la souveraineté des États, encourage la diffusion de bonnes pratiques.
Au-delà du Sahel : résonances sous-régionales et diplomatie climatique
Le pari sahélien dépasse largement les frontières des cinq pays bénéficiaires. Les corridors d’interconnexion envisagés pourraient, à terme, créer un marché électrique ouest-africain suffisamment robuste pour irriguer le Golfe de Guinée et même le Bassin du Congo, dont les autorités, à l’image du gouvernement de Brazzaville, s’affirment favorables à une complémentarité hydro-solaire. En définitive, Desert to Power devient laboratoire de la diplomatie climatique africaine : il s’agit de démontrer qu’une approche collaborative, fondée sur la mise en commun des avantages comparatifs, peut stabiliser des zones fragiles tout en respectant les engagements de l’Accord de Paris.
Une équation sociale et politique à 10 gigawatts
La réunion de Ouagadougou s’est achevée sur un constat lucide : « Dieu nous a donné le soleil, à nous de transformer ce potentiel », a résumé Kevin Kariuki. L’horizon de 10 GW reste atteignable si la volonté politique perdure, si les utilities réforment leur gouvernance et si les investisseurs perçoivent un signal clair de stabilité. Dans un contexte sécuritaire encore volatil, l’accès fiable à l’électricité apparaît comme un dividende de paix autant qu’un vecteur de compétitivité. La trajectoire engagée, sans triomphalisme, démontre qu’une synergie entre institutions multilatérales, États et secteur privé peut, dans un délai raisonnable, métamorphoser le paysage énergétique sahélien et, par ricochet, donner une impulsion positive à l’ensemble de la région.