Une missive présidentielle aux accents stratégiques
Le 16 avril, dans la sobriété feutrée du ministère marocain des Affaires étrangères, l’émissaire spécial Eisenhower Nduwa Mkaka remit à Nasser Bourita une lettre signée de Lazarus Chakwera à l’attention du roi Mohammed VI. Peu de détails ont filtré, sinon la confirmation par le diplomate malawite de l’« appui solide » de Lilongwe à « l’intégrité territoriale du Royaume » (communiqué conjoint, 2024). Pour les chancelleries observatrices du dossier saharien, la scène rappelle que la bataille de la reconnaissance se joue moins à New York qu’au sein même du continent africain.
La dimension symbolique du consulat malawite à Laâyoune
Depuis juillet 2021, le drapeau du Malawi flotte devant un immeuble discret de Laâyoune, capitale administrative du Sahara sous contrôle marocain. L’inauguration de cette représentation, la trentième d’un État africain dans la région, avait été saluée à Rabat comme « une irréversibilité diplomatique ». Pour Lilongwe, le maintien de cette antenne consulaire constitue la preuve tangible que la position annoncée ne relève ni du geste éphémère ni du simple troc symbolique. Dans les usages africains, ouvrir un consulat équivaut à acter une normalisation définitive, même si le droit international public ne lie pas juridiquement cet acte à une reconnaissance formelle de souveraineté.
Entre Union africaine et Nations unies, le jeu des équilibres diplomatiques
L’Union africaine (UA) demeure le seul organisme multilatéral à compter simultanément la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et le Royaume du Maroc parmi ses membres. Dans ce cadre, chaque alignement bilatéral pèse. La volte-face malawite n’est pas inédite : Lilongwe avait reconnu la RASD en 2014 avant de revenir sur cette décision trois ans plus tard, une oscillation révélatrice des tensions entre solidarité panafricaine, pressions régionales et promesses d’investissements. Côté onusien, le processus politique piétine. Le nouvel envoyé personnel du Secrétaire général, Staffan de Mistura, peine à relancer des négociations formelles. Rabat mise donc sur l’accumulation de soutiens africains pour faire valoir que la proposition d’autonomie, présentée en 2007, constitue « l’unique solution réaliste » (Mission marocaine auprès de l’ONU, 2023), tandis que le Front Polisario continue de revendiquer un référendum d’autodétermination intégral.
Les motivations internes de Lilongwe : de la dette à la quête d’investissements
Englué dans l’une des pires crises économiques de son histoire, le Malawi affiche 80 % de sa dette publique en devises étrangères (Banque mondiale, 2023). Les besoins en infrastructures et en diversification agricole sont tels que tout partenaire disposé à injecter des capitaux est accueilli avec empressement. Or le Maroc, via l’OCP et ses filiales, a multiplié les offres d’engrais et d’assistance technique sur le maïs et le tabac, piliers de l’économie malawite. En échange, Rabat obtient un soutien diplomatique précieux à un coût budgétaire relativement modeste. Cette dynamique n’est pas sans rappeler la « géopolitique des engrais » déployée par le Royaume au Nigéria ou en Éthiopie.
Rabat face à la fragmentation africaine : un partenariat gagnant-gagnant ?
Pour le Maroc, chaque soutien africain alimente un narratif de plus en plus audible : l’idée que l’autonomie sous souveraineté marocaine est devenue la solution majoritaire sur le continent. Les diplomates du Royaume n’ignorent toutefois pas la fluidité des positions. L’Afrique du Sud, l’Algérie et le Nigeria — malgré leur coopération économique avec Rabat — demeurent attachés à l’option référendaire. Dans ce contexte, la permanence malawite apparaît comme un atout, mais aussi comme un test de crédibilité : la régularité des projets annoncés, leur livraison effective et l’engagement social qu’ils procureront aux populations malawites seront scrutés tant par les chancelleries que par l’opinion publique africaine.
Perspectives et variables d’ajustement
À court terme, le message présidentiel devrait se traduire par la signature d’un nouveau mémorandum de coopération sectorielle lors de la prochaine session de la commission mixte Malawi-Maroc. À moyen terme, Lilongwe pourrait se retrouver sous les projecteurs lors des débats de l’UA si la question saharienne réapparaît à l’ordre du jour du Conseil de paix et de sécurité. Enfin, la soutenabilité de la position malawite dépendra de l’évolution du rapport de forces au sein de la SADC, où la Tanzanie et la Namibie demeurent proches du Polisario. En filigrane, la lettre de Chakwera illustre un phénomène plus large : l’emprise croissante des logiques bilatérales sur les mécanismes collectifs africains. Reste à savoir si cet activisme pragmatique rapprochera durablement les deux capitales ou s’il s’inscrira dans la longue liste des alliances africaines réversibles.