Un plaidoyer scientifique pour la ZLECAF
Présenté à Brazzaville le 8 août, l’ouvrage de Dominique Candide Fabrice Koumou Boulas – « Impact du secteur des transports et de logistique sur le développement économique et social pour l’intégration régionale de la République du Congo » – s’ouvre sur une évidence trop souvent reléguée au second plan : sans corridors fluides, la Zone de libre-échange continentale ne restera qu’une promesse. L’auteur, docteur en sciences de gestion, convie le lecteur à un voyage rigoureusement étayé à travers 265 pages qui font dialoguer statistiques, études de cas et théorie économique.
Préfacé par le professeur Yassine Helmi, l’ouvrage se veut autant un diagnostic qu’une feuille de route. « L’intégration est d’abord un réseau physique », rappelle-t-il en introduction, avant de chiffrer l’écart de compétitivité logistique entre le Congo et ses pairs africains. Pour chaque point gagné dans l’indice de performance logistique, souligne l’auteur en se référant aux données de la Banque mondiale, le produit intérieur brut pourrait s’accroître de près d’un demi-point.
Des infrastructures qui redessinent la carte économique
Le livre s’attarde sur trois plates-formes jugées stratégiques : le port en eau profonde de Pointe-Noire, les corridors Nord (Brazzaville-Ouesso-Cameroun) et Ouest (Pointe-Noire-Cabinda-Angola), ainsi que les futures zones économiques spéciales de Maloukou-Tréchot et d’Oyo. Chacune est disséquée à l’aune de son effet d’entraînement sur l’emploi, les recettes non pétrolières et la réduction des coûts logistiques.
En chiffres, l’auteur avance qu’une modernisation du terminal conteneurs de Pointe-Noire pourrait générer jusqu’à 15 000 emplois directs et indirects à l’horizon 2030, tandis que la mise à niveau du chemin de fer Congo-Océan porterait le trafic fret annuel de 300 000 à 1,2 million de tonnes. « Nous ne devons plus considérer la logistique comme un service auxiliaire », martèle-t-il lors de la cérémonie de dédicace, saluant les récentes réformes portuaires conduites par les autorités congolaises.
Financer l’ambition sans grever les comptes publics
Le propos devient plus nuancé lorsqu’il aborde la soutenabilité budgétaire. Avec des cours pétroliers volatils, le Congo a, selon l’auteur, « atteint un palier d’endettement qui appelle de l’ingéniosité financière ». Il encourage la mobilisation de l’épargne domestique et des partenariats public-privé pour éviter de recourir exclusivement aux marchés internationaux. Au cœur de son raisonnement figure la création de pôles logistiques capables de générer des droits de passage, redevances portuaires et taxes de valeur ajoutée – recettes susceptibles de renforcer la base fiscale sans alourdir la dette souveraine.
L’économiste rappelle que l’essor du port de Tanger-Med au Maroc ou celui de Durban en Afrique du Sud résulte d’une combinaison de capitaux publics catalyseurs et d’investissements privés rassurés par la stabilité réglementaire. « Le Congo peut s’inspirer de ces modèles sans les copier mécaniquement », affirme-t-il, plaidant pour des garde-fous juridiques propres au contexte national.
Compétences humaines, maillon décisif de la chaîne
Si les infrastructures sont les artères du commerce, les compétences en sont les globules. Le Dr Koumou Boulas consacre un chapitre entier à la formation, qu’il considère comme la variable la plus rentable. Il rappelle que 60 % des retards portuaires en Afrique centrale sont imputables à des lacunes organisationnelles plus qu’à des défaillances physiques. Cela plaide pour une montée en gamme des curricula universitaires et techniques, ainsi que pour une meilleure reconnaissance du métier de logisticien.
Le Centre TRANMAR qu’il a fondé à Pointe-Noire annonce, pour 2026, un programme de certificats co-construits avec des écoles marocaines et rwandaises afin de mutualiser les meilleures pratiques. Le professeur Moukala Kadima Nzusi, critique littéraire le jour de la présentation, a salué « une écriture fluide qui met en relief l’importance du capital humain dans la performance logistique ».
Vers une diplomatie des corridors d’Afrique centrale
L’un des apports les plus originaux de l’ouvrage réside dans l’idée d’une diplomatie régionale guidée par les corridors. L’insuffisance des liaisons transfrontalières prive, estime l’auteur, l’Afrique centrale de 2 % de croissance par an. Il invite Brazzaville à poursuivre les efforts de standardisation douanière déjà engagés au sein de la Communauté économique des États d’Afrique centrale afin de fluidifier la circulation des camions entre Pointe-Noire, Libreville et Ndjamena.
Sans verser dans l’optimisme béat, le livre considère la ZLECAF comme une occasion unique d’instituer un marché de 1,4 milliard de consommateurs jusqu’ici morcelé. « Les retards logistiques sont des taxes invisibles qui pénalisent nos PME », rappelle l’auteur, qui voit dans la récente ratification de l’Accord sur la facilitation du commerce par le Congo un signal encourageant.
À l’issue de la cérémonie, de nombreux participants, dont des cadres du ministère des Transports, se sont dit convaincus que ce plaidoyer tombe à point nommé, alors que le gouvernement s’apprête à actualiser son Plan national de développement. Le pari est clair : transformer les routes et les rails en catalyseurs d’une économie moins dépendante des hydrocarbures et plus ouverte sur ses voisins.