Un accord monétaire à contre-courant des usages internationaux
Moscou et Le Caire ont officialisé, le 16 septembre 2024, la possibilité pour l’Égypte de régler en roubles les prochaines échéances du prêt contracté en 2015 pour la construction de la centrale nucléaire de Dabaa. L’annonce, entérinée par le président Vladimir Poutine le 24 juin dernier et saluée par son homologue Abdel-Fattah al-Sissi, met fin à neuf années de remboursement en dollars et marque une inflexion majeure dans les pratiques financières bilatérales. Avec cette clause, d’un coup de plume, la Russie confirme sa volonté d’internationaliser le rouble tandis que l’Égypte sécurise ses paiements face aux tensions récurrentes sur les devises fortes.
Les impératifs de trésorerie du Caire dopés par la convertibilité en roubles
Depuis la crise des réserves de change de 2022, la Banque centrale d’Égypte pilote un équilibre délicat entre soutien à la livre et règlement de ses engagements extérieurs. La conversion approuvée par Moscou offre un ballon d’oxygène à l’exécutif égyptien, à l’heure où les importations de blé, d’énergie et d’armement pèsent lourdement sur son compte courant. « Le passage au rouble ne modifie pas la valeur nominale du prêt, mais il réduit la pression sur les réserves en dollars », a commenté Vladimir Kolychev, vice-ministre russe des Finances, rappelant que Le Caire a honoré sans défaut l’ensemble de ses échéances début 2024.
Dabaa : quatre réacteurs pour électriser l’ambition énergétique africaine
Situé sur le littoral méditerranéen, à 300 kilomètres au nord-ouest du Caire, le site de Dabaa accueillera quatre réacteurs VVER-1200 de troisième génération, soit une puissance installée de 4 800 MW. La première unité doit entrer en service en 2028, suivant un calendrier que les autorités disent « maintenu malgré les turbulences logistiques ». Rosatom, maître d’œuvre du projet, a déjà coulé le béton de la cuve du bloc 1, signe tangible que la coopération technologique progresse en phase avec les engagements financiers.
Le rouble, vecteur de soft power face au régime des sanctions occidentales
Depuis 2022, la Fédération de Russie déploie une stratégie active d’élargissement de l’usage de sa monnaie nationale dans le règlement des contrats énergétiques et militaires. L’inclusion de l’Égypte, partenaire historique mais aussi pivot arabe, confère à Moscou une vitrine de choix. Pour les diplomates russes, l’opération prouve que « l’ingénierie financière du Kremlin peut contourner les restrictions sans rompre avec la légalité internationale ». De leur côté, les autorités égyptiennes apprécient la souplesse d’un mécanisme qui stabilise les cours d’importation tout en évitant l’exposition aux fluctuations du billet vert.
Conséquences régionales : un précédent pour les banques centrales du Sud
Aux yeux des analystes, la manœuvre russo-égyptienne pourrait inspirer d’autres capitales africaines et moyen-orientales attentives aux scénarios de dédollarisation. En adoptant une devise différente de celle du contrat initial, l’Égypte force les places financières à réévaluer leur modèle de risque. Plusieurs banques centrales, de Lagos à Riyad, guettent désormais les mécanismes de couverture qui découleront de cette ‘russification’ partielle des flux. Si l’enjeu immédiat demeure la discipline budgétaire du Caire, le mouvement s’inscrit dans une redéfinition plus vaste des pôles de liquidité sur le continent.
Entre sécurité énergétique et réalisme géopolitique : un pari mesuré
En optant pour le rouble, l’Égypte sécurise la poursuite d’un chantier nucléaire stratégique sans alourdir sa facture en dollars ni heurter ses partenaires occidentaux, majoritairement engagés aux côtés du Caire dans la stabilité régionale. La Russie, pour sa part, consolide un débouché industriel majeur et engrange un succès symbolique dans la bataille des monnaies. Au-delà des postures, les deux capitales partagent un pragmatisme assumé : garantir l’achèvement de Dabaa, accroître l’offre électrique nationale et inscrire leur coopération dans un horizon de trente ans, durée théorique du remboursement. Le pari, certes ambitieux, apparaît calibré et mutuellement avantageux, comme l’a résumé un conseiller diplomatique égyptien : « Notre alliance tient au respect des engagements et à l’adaptation aux réalités financières, non à la rhétorique. »