Un signal politique fort dans une conjoncture sous tension
L’image est restée gravée dans les mémoires de chancelleries : dans les salons ovales du palais présidentiel de Luanda, Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont scellé, sous l’égide du président angolais João Lourenço, un document qui entend clore un cycle de défiances mutuelles vieux de près de trois décennies. En qualifiant l’accord « d’embrayeur d’une ère nouvelle », le chef de l’État congolais a voulu, selon son entourage, « déplacer le centre de gravité de la crise de l’Est vers la table de négociation ». La rhétorique semble ambitieuse, mais elle répond à une urgence : la persistance de violences imputées au M23 et les crispations qui, depuis fin 2021, ont ravivé les souvenirs les plus sombres des conflits des années 1990.
Les ressorts d’une désescalade arrachée à la méfiance
Le texte paraphé à Luanda repose sur trois piliers : cessation immédiate des hostilités, création d’un mécanisme conjoint de vérification et réactivation du corridor économique entre Goma et Rubavu. Ce dernier volet, souvent éclipsé par l’urgence sécuritaire, est pourtant central : il institue un régime préférentiel de transit que saluent déjà les opérateurs du Nord-Kivu, désireux de fluidifier les échanges de pierres précieuses, de produits vivriers et de ciment. « L’économie est la diplomatie des peuples », confiait un haut responsable de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, avant d’ajouter que « les contrats douaniers, s’ils sont tenus, valent parfois mieux que les plus solennelles des promesses politiques ».
Garanties extérieures et marges de manœuvre locales
Pour consolider la trêve, l’Union africaine, la Communauté d’Afrique de l’Est et la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) se sont engagées à déployer des observateurs militaires. Brazzaville, dont le président Denis Sassou Nguesso assure une influence reconnue au sein de la CEEAC, a proposé une équipe d’appui logistique afin de démontrer que la neutralité congolaise-brazzavilloise peut servir de levier de confiance. Plusieurs diplomates notent que cette implication discrète, mais constante, répond à la ligne défendue par le chef de l’État congolais : stabiliser son voisinage immédiat pour renforcer la dynamique d’intégration sous-régionale sans exposer son pays aux controverses militaires.
Une fenêtre économique scrutée par les investisseurs
Les milieux d’affaires de Johannesburg à Dubaï évaluent déjà le dividende de la paix : en interne, Kinshasa table sur une hausse de 15 % du trafic au port de Matadi grâce à la relance de la route Goma-Kigali-Mombasa. Kigali, pour sa part, voit dans l’accord un moyen de sécuriser ses couloirs d’importation de minerais critiques, notamment le coltan, qui transite parfois de manière informelle. Selon une note du cabinet Control Risks, l’hypothèse d’une stabilité durable pourrait réduire de deux points le coût de l’assurance-risque appliqué aux cargaisons en provenance de l’Est congolais. Les bailleurs traditionnels – Banque mondiale et Banque africaine de développement – envisagent, eux, de réallouer des lignes de crédit au désenclavement routier, à condition que la démobilisation des groupes armés se matérialise.
Sécurité humaine : la question des déplacés reste une ombre portée
Si Luanda a redonné de l’élan à la diplomatie, le terrain demeure volatil. Près de 800 000 personnes, selon le HCR, vivent encore dans des camps improvisés autour de Goma. Les organisations humanitaires saluent la promesse d’un corridor humanitaire sécurisé, mais rappellent que l’expérience de 2013 – déjà marquée par un accord et un relâchement rapide de la vigilance – invite à la prudence. « Nous ne voulons pas d’un cessez-le-feu en trompe-l’œil », avertit une responsable locale de Caritas, qui insiste sur la nécessité d’impliquer les chefs coutumiers dans le suivi des engagements, faute de quoi les antagonismes communautaires pourraient ressurgir.
Résonances africaines : de Lomé à Khartoum, l’effet domino
Au-delà des Grands Lacs, le tourbillon diplomatique entretient un effet d’entraînement. À Lomé, où au moins sept manifestants ont trouvé la mort lors de protestations contre une réforme électorale jugée inéquitable, l’opposition togolaise cite le précédent de Luanda pour réclamer une médiation africaine. Khartoum, lui, fait face à des sanctions économiques américaines liées à de présumées utilisations d’armes chimiques. L’administration soudanaise insiste sur le fait qu’un règlement politique interne, à l’image de la démarche congolaise, réduirait la pression internationale. En filigrane, l’argument est clair : la diplomatie préventive reste moins coûteuse, financièrement et symboliquement, qu’une gestion à froid des crises.
Vers un agenda d’intégration sans faux-fuyants
La présidence congolaise-brazzavilloise de la CEEAC, annoncée pour 2025, pourrait capitaliser sur l’élan de Luanda pour promouvoir un plan de connectivité régionale reliant le port en eaux profondes de Pointe-Noire aux centres industriels de l’Est congolais. Un diplomate européen voit dans cette articulation « une convergence d’intérêts qui transcende les clivages linguistiques et coloniaux ». Pour autant, la réalisation concrète de cette projection dépendra de la mise en œuvre effective des clauses sécuritaires et, surtout, de la capacité de Kinshasa et Kigali à dépersonnaliser leurs divergences. Comme le rappelait récemment l’ancien chef de la MONUSCO, Maman Sidikou, « la paix en Afrique centrale n’est pas un événement ; c’est un processus, parfois réversible, toujours perfectible ».