Brazzaville accueille un symposium scientifique majeur
Du 22 au 24 juillet 2025, l’amphithéâtre Jean-Baptiste Tati Loutard de l’université Marien Ngouabi a résonné du bruissement feutré des congrès fondateurs. Pour la première fois, la Société congolaise de psychologie, récemment constituée sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur, tenait ses assises devant un parterre éclectique d’universitaires, de hauts fonctionnaires et de diplomates culturels, tous venus saluer la mémoire du Dr André Bouya. L’événement, placé sous le thème « Psychologie, santé, éducation et changements sociaux », a bénéficié du haut patronage de la ministre de tutelle, le Pr Delphine Edith Emmanuel Adouki, dont la présence a consacré la portée institutionnelle de la rencontre.
Significativement, la délégation gouvernementale comptait le ministre des Postes Léon Juste Ibombo, porte-voix d’une administration désireuse de numériser les services de santé mentale, ainsi que le Pr Théophile Obenga, représentant personnel du chef de l’État et inspirateur historique de la reforme universitaire. Ce soutien politique franc a laissé transparaître la volonté de Brazzaville d’inscrire la santé psychique dans l’architecture plus large du développement national, conformément au Plan national de santé 2022-2030.
André Bouya, architecte de la psychologie congolaise
Premier docteur congolais en psychologie, formé dans les années 1970 entre Dakar et Paris, André Bouya a façonné un champ disciplinaire encore embryonnaire à son retour au pays. Vice-recteur de l’université Marien Ngouabi au tournant des années 1990, il milita pour que les sciences humaines s’affranchissent des modèles purement exogènes. Les témoignages recueillis durant le congrès ont, sans exception, insisté sur son exigence méthodologique, son humilité et la conviction que « la science doit servir la cité » (Pr Dieudonné Tsokini).
Sa disparition en 2021, en pleine pandémie, avait laissé un vide symbolique. L’hommage rendu cette année ambitionne de transformer le deuil national en programme d’action, à l’heure où le Congo affine sa stratégie de capital humain.
Diplomatie académique et rayonnement régional
La dimension internationale du congrès s’est manifestée par la présence de délégations venues de la République démocratique du Congo, du Cameroun, du Gabon, de la Côte d’Ivoire et de la France. Au-delà du protocole, cette constellation de chercheurs a rappelé que les pathologies du lien social traversent les frontières et que les solutions gagneraient à être co-construites. « Nous sommes ici pour élaborer une cartographie africaine des vulnérabilités psychiques », a estimé la Pre Nathalie Endale, de Yaoundé.
Le ministère des Affaires étrangères, représenté dans la salle, a saisi l’occasion pour souligner que la coopération scientifique demeure un pilier de la politique étrangère de Brazzaville, notamment dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine qui prévoit la libre circulation des compétences. En d’autres termes, la mémoire d’André Bouya sert désormais de trait d’union entre diplomatie classique et diplomatie du savoir.
Axes de recherche et recommandations stratégiques
Les travaux se sont articulés autour de six axes, depuis l’héritage théorique du Dr Bouya jusqu’aux communications libres en sciences sociales. Les discussions les plus nourries ont porté sur la santé mentale scolaire, la résilience communautaire dans les quartiers précaires et la formation à distance des psychologues. L’enjeu est d’adapter les curricula aux réalités numériques sans perdre de vue la dimension interculturelle que le professeur Tsokini juge « non négociable ».
De ces trois jours d’échanges émergent plusieurs recommandations. Primo, institutionnaliser des cellules de soutien psychologique dans les établissements secondaires, en partenariat avec les ministères de l’Éducation et de la Santé. Secundo, doter la SOCOPSY d’une plateforme numérique de recherche ouverte, hébergée sur les serveurs gouvernementaux, afin de mutualiser les bases de données cliniques dans le respect des normes éthiques. Tertio, soutenir financièrement la mobilité des jeunes chercheurs vers les centres d’excellence régionaux, notamment à Abidjan et Douala, pour densifier les réseaux panafricains.
Le président du comité d’organisation, Jean Didier Mbélé, a ajouté qu’un fonds de dotation portant le nom d’André Bouya verrait le jour d’ici 2026, afin de financer les travaux doctoraux sur la prévention des traumatismes collectifs, sujet sensible pour des sociétés ayant traversé des épisodes de conflits armés.
Vers une institutionnalisation durable de la SOCOPSY
À l’issue des travaux, la conviction partagée est claire : la SOCOPSY ne doit pas rester un simple cercle savant, mais se muer en partenaire technique de l’État dans la mise en œuvre des politiques publiques de santé mentale. Le secrétaire général du ministère de la Santé, présent lors de la session finale, a accueilli favorablement la proposition d’un mémorandum d’entente précisant les modalités de collaboration.
La famille du Dr Bouya, par la voix de son fils aîné, a annoncé la cession d’une partie de la bibliothèque personnelle de l’illustre psychologue, riche de manuscrits annotés, à l’université Marien Ngouabi. Ce geste patrimonial témoigne d’un engagement intergénérationnel qui, selon la ministre Adouki, « scelle le continuum entre mémoire scientifique et innovation sociale ».
Ainsi, en transformant un hommage académique en espace de prospective, Brazzaville consolide la place de la psychologie dans son architecture de développement humain tout en projetant un signal positif vers ses partenaires extérieurs. Un signe, également, que la diplomatie scientifique congolaise entend conjuguer bilan et vision sans renoncer à l’humilité de ses pionniers.