Brazzaville à l’heure de la psychologie
Durant trois journées estivales, l’amphithéâtre Jean-Baptiste Tati-Loutard de l’Université Marien-Ngouabi a vibré au rythme d’échanges rarement observés dans le champ des sciences humaines nationales. Sous l’égide de la ministre de l’Enseignement supérieur, la professeure Delphine Edith Emmanuel Adouki, et en présence de plusieurs membres du gouvernement, la Société congolaise de psychologie a réuni chercheurs, cliniciens et décideurs autour du thème « Psychologie, santé, éducation et changements sociaux ». L’événement, premier du genre, s’inscrit dans la dynamique impulsée par les autorités pour renforcer la recherche appliquée au service du développement humain, objectif régulièrement rappelé par le président Denis Sassou Nguesso lors de ses adresses sur la réforme du système éducatif.
Au-delà de la solennité des discours d’ouverture, l’audience a été marquée par la leçon inaugurale du professeur Dieudonné Tsokini, consacrée au « paradigme interculturel ». Insistant sur la nécessité de concilier connaissances globales et ancrage local, l’universitaire a souligné que « l’observation fine des dynamiques communautaires congolaises constitue le meilleur laboratoire pour produire un savoir utile, exportable et surtout durable ». Cette exigence d’adéquation entre recherche et réalité sociale a donné le ton aux travaux d’ateliers, où se sont croisées études cliniques, expériences de terrain et réflexions prospectives.
Un hommage fédérateur à André Bouya
Figure tutélaire de la discipline, le Dr André Bouya demeure le premier Congolais titulaire d’un doctorat en psychologie. Premier chef du Département de psychologie créé en 1975, puis vice-recteur de l’Université Marien-Ngouabi, il a inscrit son nom dans les annales de l’enseignement supérieur en promouvant la place des sciences humaines dans l’architecture académique nationale. Témoignages familiaux, archives audiovisuelles et communications savantes ont rappelé son sens de la transmission et sa vision humaniste d’une recherche tournée vers l’action sociale.
La présidente du comité scientifique, la professeure Hortense Makosso, a résumé l’esprit de la rencontre : « Rendre hommage, ce n’est pas seulement célébrer le passé ; c’est prolonger l’œuvre par des chantiers nouveaux ». Ainsi, chaque atelier thématique a débuté par l’analyse d’un texte fondateur de Bouya, instaurant un dialogue entre héritage et prospective. Pour nombre de jeunes chercheurs, cette immersion a renforcé la conscience d’appartenir à une lignée intellectuelle porteuse de valeurs d’exigence et de service public.
Diplomatie académique et soft power régional
Avec la présence de délégations venues du Cameroun, du Gabon, de la Côte d’Ivoire, de la République démocratique du Congo et de France, le congrès a joué un rôle de plateforme diplomatique informelle. S’inscrivant dans la stratégie gouvernementale de rayonnement scientifique, ces échanges ont permis de positionner Brazzaville comme carrefour de la psychologie francophone en Afrique centrale. Selon le ministère congolais des Affaires étrangères, cette dimension d’influence douce consolide la crédibilité du pays dans les négociations multilatérales liées à la santé mentale et à l’éducation inclusive.
Les interventions ont mis en lumière des problématiques régionales convergentes, telles que la résilience des populations urbaines précaires ou l’accompagnement psychologique des élèves dans des systèmes éducatifs en mutation. La comparaison des données a révélé l’intérêt d’une mutualisation des ressources, notamment pour la constitution d’indicateurs fiables permettant d’éclairer les politiques publiques. La signature, en marge du congrès, d’un protocole de coopération entre la Socopsy et l’Association camerounaise de psychologie illustre ce mouvement d’intégration intellectuelle.
Résolutions stratégiques pour l’État congolais
Les conclusions des seize ateliers se sont cristallisées autour d’un triptyque : professionnaliser, réglementer et diffuser. D’abord, la création d’un répertoire national des psychologues facilitera l’identification des compétences et la lutte contre les pratiques empiriques. Ensuite, l’institutionnalisation de la Socopsy comme organe consultatif auprès des pouvoirs publics vise à garantir une expertise endogène lors de l’élaboration de programmes de santé mentale et de réformes pédagogiques. Enfin, l’organisation de congrès biennaux assurera la pérennité du dialogue entre universitaires, praticiens et décideurs.
Lors de la séance de clôture, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon-Juste Ibombo, a salué la dimension technologique de ces résolutions, rappelant que « la digitalisation des services psychologiques figure dans la feuille de route du gouvernement pour l’amélioration du capital humain ». Cette convergence entre attentes professionnelles et agenda national témoigne d’une gouvernance attentive aux recommandations du milieu scientifique, contribuant à renforcer la confiance entre État et communauté académique.
Perspectives d’une communauté scientifique panafricaine
Au-delà de l’émotion suscitée par l’hommage, le congrès a fait émerger des pistes de recherche sur la prévention des risques psychosociaux, le développement de programmes de santé scolaire et l’usage de plateformes numériques pour l’accompagnement des jeunes. Plusieurs doctorants ont présenté des protocoles expérimentaux s’appuyant sur l’analyse de données massives, un champ encore embryonnaire en Afrique centrale mais encouragé par les autorités congolaises.
Le professeur Jean-Didier Mbélé, président du comité d’organisation, a conclu que « notre défi est de relier la science à l’humain, la mémoire à l’action et le local à l’universel ». Cette formule, reprise dans la presse nationale, résume l’ambition d’une discipline qui veut devenir force de proposition face aux mutations sociales contemporaines. Avec l’appui constant de la famille Bouya et l’engagement affiché des décideurs, la psychologie congolaise semble avoir trouvé son moment charnière, entre consolidation institutionnelle et ouverture régionale.