L’ascension fulgurante du métal précieux dans un contexte économique anxiogène
Lorsque les indicateurs financiers vacillent, la valeur refuge qu’est l’or reprend tout son éclat. Entre tensions commerciales sino-américaines, persistance de la guerre en Ukraine et craintes de récession, le cours a franchi en 2025 un seuil inédit, suscitant l’appétit simultané des banques centrales, des fonds spéculatifs et des ménages. Cet entrain planétaire dissimule toutefois une réalité territoriale : l’once convoitée provient pour une large part des sables poussiéreux du Sahel occidental, où la production cumulée du Mali, du Burkina Faso et du Niger frôle 230 tonnes par an (World Gold Council, 2025).
La rente aurifère : oxygène budgétaire indispensable aux gouvernements de transition
À Bamako, Ouagadougou et Niamey, la manne aurifère s’apparente à une assurance-vie budgétaire. Face à l’isolement diplomatique et à la contraction de l’aide publique au développement, les juntes voient dans les recettes minières un levier de consolidation intérieure. « Les cours records offrent une fenêtre de liquidité inespérée pour financer l’effort de guerre contre les insurrections djihadistes », observe Beverly Ochieng, analyste chez Control Risks (BBC, 2025). De fait, les dépenses militaires maliennes ont plus que triplé depuis 2010, atteignant 22 % du budget national avant même le pic actuel des prix.
Convoitises extérieures et redéfinition des partenariats stratégiques
L’afflux de contrats miniers redessine les jeux d’influence. Au Mali, la première pierre d’une raffinerie portée en partie par le groupe russe Yadran symbolise l’ancrage économique de Moscou, désormais prolongé par l’Africa Corps, successeur du groupe Wagner. Au Burkina Faso, l’exécutif impose une prise de participation publique de 15 % dans chaque nouveau permis et promet un transfert de compétences aux ingénieurs locaux. Cette affirmation de « souveraineté économique » renforce la popularité des chefs de transition tout en suscitant, côté occidental, des interrogations quant au partage effectif de la valeur ajoutée.
Mines artisanales, groupes armés et porosité des frontières de sécurité
Selon l’ONUDC (2023), plus de la moitié de l’or sahélien provient de sites artisanaux non déclarés, échappant au contrôle fiscal comme au suivi environnemental. Ces poches parfois éloignées de tout État deviennent un enjeu de contrôle territorial entre forces gouvernementales, milices supplétives et factions affiliées à Al-Qaïda ou à l’État islamique. Le Jamaat Nusrat al-Islam wal-Muslimin a ainsi intensifié ses offensives contre les garnisons burkinabè au premier semestre 2025. Dans cette économie de prédation, la monnaie du métal remplace souvent celle du billet ; concessions minières, droit de passage ou prélèvements sur la production financent l’extension de zones grises où l’autorité publique se délite.
Traçabilité et normes éthiques : un chantier multilatéral encore balbutiant
Le souvenir du Processus de Kimberley pour les diamants hante les chancelleries, mais l’or, par sa nature fongible et sa fusion précoce, échappe aux contrôles classiques. La London Bullion Market Association impose aux raffineurs un référentiel inspiré de l’OCDE, cependant l’application demeure hétérogène dans les principaux hubs commerciaux, notamment aux Émirats arabes unis. Alex Vines, chercheur à Chatham House, rappelle l’obstacle technique : « Il n’existe pas d’empreinte digitale pour une pépite d’or ; une fois fondue, sa provenance se dissout littéralement » (Chatham House, 2024). Faute de trace chimique, l’autorégulation s’appuie sur des audits documentaires que contournent aisément les circuits informels.
Perspectives diplomatiques : de la gestion sécuritaire à la responsabilité partagée
Les chancelleries africaines et leurs partenaires internationaux multiplient désormais les forums consacrés à la gouvernance minière responsable. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest examine la possibilité d’un mécanisme régional de certification, tandis que l’Union africaine plaide pour un fonds de stabilisation alimenté par une taxe volontaire sur l’or exporté. Si ces pistes traduisent une volonté croissante de rompre le cercle vicieux “ressources-insécurité”, leur succès dépendra de la capacité à associer sociétés civiles, opérateurs privés et États importateurs. À court terme, l’once devrait conserver sa brillance géopolitique, tant que la conjoncture mondiale entretiendra la demande et que les alternatives de financement resteront limitées pour les gouvernements sahéliens.