Un parti majoritaire confronté au vide de l’incarnation
Rarement une formation politique ivoirienne aura semblé aussi forte dans ses structures et simultanément aussi incertaine quant à son incarnation. Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, consolidé par plus d’une décennie d’exercice du pouvoir, revendique un maillage territorial serré, une assise parlementaire confortable et, surtout, la maîtrise de l’appareil administratif. Pourtant, depuis la tenue du deuxième congrès le 22 juin 2025, le RHDP se projette vers la présidentielle sans visage officiel. Les images – plus de cent mille militants dans les gradins du stade d’Ebimpé, selon l’organisation – illustrent la puissance logistique du parti, mais soulignent également la dépendance psychologique à l’endroit d’Alassane Ouattara.
Ouattara entre calcul constitutionnel et fatigue du pouvoir
Ce dernier demeure le pivot autour duquel gravite le système politique ivoirien depuis la crise post-électorale de 2010-2011. En 2020, une interprétation controversée de la Constitution révisée en 2016 lui avait permis de briguer un troisième mandat. Il avait alors justifié sa décision par le décès soudain d’Amadou Gon Coulibaly, dauphin désigné. Cinq ans plus tard, la jurisprudence reste délicate. « L’homme d’Abidjan sait que toute candidature rallumerait le débat sur la limitation des mandats, au risque de fragiliser le récit de stabilité qu’il promeut auprès des bailleurs », note une source diplomatique francophone en poste à Abidjan.
Officiellement, le chef de l’État se réserve « un temps de réflexion ». Dans les cercles restreints, certains conseillers évoquent une volonté de passer le témoin pour ne pas hypothéquer un héritage économique que le FMI salue encore avec une croissance attendue de 6,8 % en 2025. D’autres soulignent, au contraire, la difficulté à faire émerger une figure consensuelle capable de gagner dès le premier tour, condition considérée clé pour éviter la polarisation.
Entre cohésion interne et rivalités de succession
L’attentisme présidentiel nourrit des ambitions rivales au sein même du RHDP. Le ministre d’État Téné Birahima Ouattara, frère cadet du chef de l’État, s’active en coulisses ; le Premier ministre Robert Beugré Mambé, technicien respecté, apparaît comme un possible compromis ; l’ancien vice-président Daniel Kablan Duncan circule à nouveau dans les chancelleries. Ces candidatures potentielles attestent d’une règle tacite : nul ne se déclarera tant que le chef n’aura pas parlé.
Pour l’heure, la direction préfère exhiber l’unité. « Le RHDP reste une machine bien huilée », martèle son porte-parole, Kobenan Kouassi Adjoumani, qui promet une campagne « sereine et d’échanges d’idées ». La stratégie consiste à capitaliser sur le triptyque paix-prospérité-solidarité, en insistant sur les projets d’infrastructures et les performances macro-économiques. Le pari est d’éviter la personnalisation prématurée afin de préserver la discipline des cadres et d’empêcher l’opposition d’affûter une campagne ad hominem.
Une opposition recomposée mais inachevée
En face, l’opposition apparaît plurielle, parfois fracturée, mais point dénuée de ressources. Le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo reste empêché par l’inhabilitation judiciaire de son fondateur, néanmoins majeur dans les esprits militants. Le PDCI, orphelin d’Henri Konan Bédié, s’appuie sur la notoriété internationale de Tidjane Thiam, dont la candidature demeure suspendue à la levée d’obstacles administratifs. Les petites formations de gauche et de centre droit négocient des coalitions, conscientes qu’une victoire passerait par l’union dès le premier tour.
Les chancelleries occidentales et les partenaires régionaux observent avec prudence cette recomposition, dans l’espoir d’éviter une répétition des violences de 2020. La Commission électorale indépendante assure avoir renforcé les dispositifs de remontée des résultats, tandis que la CEDEAO dépêche déjà des missions d’évaluation pré-électorale.
Paramètres économiques et diplomatiques du scrutin
Au-delà des dynamiques partisanes, la présidentielle de 2025 intervient dans un contexte sous-régional marqué par une succession de coups d’État militaires (Mali, Burkina Faso, Niger) et par le retrait partiel du dispositif Barkhane. Abidjan, partenaire sécuritaire privilégié de Paris et relais de Washington dans la région, se sait sous observation. Un quatrième mandat d’Ouattara conforterait la continuité stratégique, notamment sur le dossier de la lutte contre les groupes djihadistes à la frontière burkinabè. À l’inverse, l’arrivée d’un nouveau visage pourrait redéfinir l’équilibre diplomatique, sans toutefois remettre en cause l’axe économique avec l’Union européenne et la Chine, premier partenaire commercial.
Les investisseurs, eux, redoutent surtout l’incertitude. L’euro-obligation ivoirienne de février 2025 a enregistré une légère hausse de la prime de risque, signe que les marchés anticipent une période de volatilité politique. Les autorités jouent la carte de la sérénité : la Banque mondiale vient d’approuver un programme d’appui budgétaire de 300 millions de dollars, gage de confiance dans la trajectoire des réformes.
Scénarios de sortie : entre continuité contrôlée et transition négociée
Trois scénarios dominent les salons diplomatiques. Le premier, jugé le plus probable, verrait Alassane Ouattara briguer un nouveau mandat en s’appuyant sur ses performances économiques et un appareil partisan discipliné. Le second miserait sur la désignation d’un dauphin issu du sérail, sous l’œil bienveillant mais vigilant du président sortant. Le troisième, plus incertain, supposerait la constitution d’une coalition d’opposition capable de fédérer derrière un candidat unique, profitant d’une éventuelle division au sein du RHDP.
Quelle que soit l’issue, la société civile exhorte les acteurs à la retenue. « La Côte d’Ivoire ne peut plus se permettre un cycle de violences électorales », prévient Pulchérie Gbalet, figure associative, qui réclame un accès transparent au fichier électoral et un monitoring international renforcé. À quatre mois du vote, le sablier politique s’écoule. Et c’est dans le silence méthodique d’Alassane Ouattara que se joue, pour l’heure, l’essentiel de la partition ivoirienne.