Des salles de cours socialistes au lieu de mémoire diasporique
Au tournant des années 1960, la Tchécoslovaquie socialiste offrait à de jeunes États africains des bourses qui devaient, selon la rhétorique de l’époque, « forger les cadres du progrès mondial ». Des centaines de Congolais – près de mille selon les chiffres croisés des Archives diplomatiques tchécoslovaques – ont alors fréquenté les amphithéâtres de Prague, Brno ou Ostrava. Leurs trajectoires se sont disséminées, la plupart regagnant Brazzaville, d’autres poursuivant des carrières en Europe occidentale ou en Amérique du Nord. L’histoire a laissé un capital culturel longtemps sous-exploité.
Cette mémoire s’est matérialisée le 21 juin, lorsque l’association Byvali z CSSR (« ceux qui furent en Tchécoslovaquie ») a tenu sa première assemblée générale en présentiel dans la capitale tchèque. Trente ans après la dissolution du bloc de l’Est, la réunion a revivifié un réseau qui, par la force du temps, menaçait de s’étioler. L’émotion sensible des retrouvailles, relevée par plusieurs participants, ne masquait pas la dimension stratégique d’un tel rassemblement.
Une assemblée fondatrice sous le parrainage diplomatique
Signe d’un soutien officiel, l’ambassadeur de la République du Congo en République tchèque, Roger Julien Menga, a ouvert la séance en insistant sur « l’urgence de capitaliser un héritage académique capable d’influencer la scène économique et culturelle bilatérale ». Le ministère tchèque des Affaires étrangères était représenté par Václav Prášil, directeur de la zone Afrique subsaharienne, accompagné de son collaborateur Petr Šelepa, lesquels ont salué « une plateforme inédite pour densifier les échanges Sud-Est ».
Conformément aux statuts déposés à Prague, l’assemblée a renouvelé ses instances pour un mandat de deux ans. L’ingénieur Guy-Alexis Kimbembe a été confirmé à la présidence, secondé par Gabriel Ngoma chargé des projets. Le secrétariat général échoit au professeur Ludovic Kihoulou, appuyé de Léon Ngatsé. La communication sera portée par Guy-Blaise Mbila et Marguerite Koubemba, tandis que la trésorerie revient à Patience Dzian. Les membres installés, l’assemblée a fixé une feuille de route : relance des activités au Congo dès l’automne, constitution d’un fonds de bourses et création d’un observatoire de la mobilité estudiantine.
Réseau transnational et capital humain : quel dividende pour Brazzaville ?
La République du Congo figure parmi les pays africains dont la diaspora hautement qualifiée reste relativement peu mobilisée. Le ministère congolais des Affaires étrangères estime à moins de 12 % la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur vivant hors du pays qui collaborent à des projets nationaux. Dans ce contexte, l’association Byvali z CSSR se veut interlocuteur pour d’éventuels transferts de compétences, notamment dans le secteur énergétique où plusieurs anciens, formés en génie minier à Ostrava, occupent aujourd’hui des postes clefs en Allemagne et au Canada.
« Nous ne cherchons pas à substituer les circuits officiels, mais à catalyser des synergies », confie Gabriel Ngoma, évoquant un prochain partenariat avec l’université Marien-Ngouabi. Les autorités congolaises, confrontées à la diversification d’une économie encore très dépendante des hydrocarbures, voient dans ce vivier d’ingénieurs, médecins et informaticiens une ressource susceptible d’alimenter les grands projets inscrits au Plan national de développement 2022-2026.
La République tchèque en quête d’une nouvelle politique africaine
Pour Prague, l’intérêt dépasse la simple nostalgie. Depuis l’adoption de la Stratégie tchèque pour l’Afrique 2030, le gouvernement mise sur la diplomatie économique pour élargir ses débouchés. Les exportations vers le continent ne représentent encore que 2,1 % des ventes tchèques, mais la tendance est à la hausse, portée par les secteurs de la machinerie et des technologies médicales. Les réseaux diasporiques sont perçus comme des relais de confiance capables de sécuriser des marchés que les entreprises tchèques abordent avec prudence.
Václav Prášil l’a rappelé en marge de l’assemblée : « Le capital relationnel de ceux qui connaissent nos langues et nos méthodes de travail est précieux dans des environnements parfois volatils ». En arrière-plan, les diplomates tchèques s’attachent à raviver la marque culturelle héritée de la Tchécoslovaquie socialiste, moins lourde historiquement que d’autres puissances européennes, mais encore identifiable—ne serait-ce que par le souvenir des stades de foot ou des studios de cinéma praguois fréquentés par les étudiants africains des années 1970.
Perspectives : de la convivialité associative à la fabrique de confiance
Au-delà de la soirée culturelle qui a clos l’événement – ponctuée de rumba et de folk tchèque – la viabilité de Byvali z CSSR dépendra de son aptitude à passer de l’émotionnel au structurel. Les responsables ont annoncé la préparation d’un forum économique Congo-Tchéquie en 2024, tandis qu’une plateforme numérique devrait faciliter l’actualisation des profils professionnels. Le défi principal résidera dans le financement de projets communs ; la cotisation statutaire, modeste, ne saurait suffire sans l’apport d’acteurs publics et privés.
Pour les observateurs, l’épisode illustre un mouvement plus large : la montée en puissance des diplomaties de la société civile, dans lesquelles les anciennes communautés d’études font office de ponts cognitifs. La République du Congo, engagée dans une stratégie de rayonnement discrète mais persistante, pourrait y trouver un levier complémentaire. Côté tchèque, l’initiative s’inscrit dans un repositionnement continental stimulant, où le capital affectif hérité des années socialistes rencontre la logique contemporaine du soft power. De part et d’autre, la rénovation de ce vieux couloir académique atteste que, parfois, la mémoire partagée s’avère la matrice la plus sûre pour fabriquer la confiance.