Le réveil des avenues de Brazzaville
À l’aube, l’avenue de la Paix exhale encore la fraîcheur du fleuve. Les balayeuses mécaniques d’Albayrak, opérateur mandaté par l’État, laissent derrière elles un ruban d’asphalte impeccable. Pourtant, à la mi-journée, un spectacle familier s’impose : des monticules d’ordures réapparaissent, comme par magie. Cette juxtaposition des efforts institutionnels et des incivilités récurrentes vient de pousser le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondelé, à hausser le ton. « Cela ne peut plus durer », a-t-il lancé lors de la dernière Journée nationale d’assainissement, s’exprimant aux côtés des membres de la Task Force présidée par Denis Sassou Nguesso.
Pré-collecte informelle, maillon sous tension
Dans la mécanique urbaine, les « pousse-pousseurs » jouent un rôle paradoxal. Apparus pour pallier l’insuffisance historique de la collecte municipale, ces pré-collecteurs informels assurent un revenu à plusieurs centaines de familles. Mais la tentation de vider les bacs de quartier sur la grande artère la plus proche reste forte, d’autant que chaque trajet supplémentaire vers la décharge officielle ampute leur marge ténue. En ordonnant désormais l’arrestation immédiate de tout contrevenant, le gouvernement assume le risque de braquer une partie de cette main-d’œuvre, tout en lui offrant—par le truchement de partenariats public-privé—des perspectives d’intégration progressive à la chaîne formelle des déchets.
De la Task Force à l’acte citoyen
La dimension politique du chantier ne saurait être éludée. Créée pour orchestrer la réhabilitation des infrastructures de la municipalisation accélérée, la Task Force multiplie les descentes sur le terrain. Au Complexe sportif de la Concorde de Kintélé, ministres, cadres et étudiants se sont retroussés les manches pour ramasser mégots et sachets plastiques. « Un véritable engagement citoyen », s’est félicité Juste Désiré Mondelé, convaincu que la pédagogie par l’exemple vaut parfois mieux qu’une circulaire. Le choix de Kintélé n’est pas anodin : symbole de la jeunesse et de l’unité, le site rappelle la promesse, faite lors des Jeux Africains de 2015, d’une capitale propre et moderne.
L’économie circulaire à portée de bac
Au-delà de la sanction, l’exécutif déroule une vision plus large : transformer le sac-poubelle en gisement économique. Le ministère de l’Industrie étudie la mise en place de petites unités de valorisation matière dans les arrondissements périphériques, tandis que des startups locales testent la collecte sélective des plastiques à Makélékélé et Poto-Poto. « Le déchet devient une ressource dès lors qu’il est trié à la source », explique l’économiste Ursule Mayanda, qui plaide pour des incitations fiscales en faveur des jeunes pousses du recyclage. Brazzaville pourrait ainsi rejoindre les capitales africaines qui convertissent leur insalubrité en opportunités d’emplois verts.
Vers une culture de propreté partagée
Sur le bitume brazzavillois, la bataille de l’assainissement se joue autant dans les bennes que dans les têtes. La réactivation de l’éclairage public, la réfection des trottoirs et la sanctuarisation du premier samedi du mois comme rituel d’hygiène collective signalent une volonté de bâtir une culture urbaine tournée vers le bien commun. Reste à concilier les impératifs de santé publique, la souveraineté budgétaire et la réalité sociale d’une ville où l’informel demeure la première source d’emploi. Aux dires du sociologue Désiré Louzolo, « on ne décrète pas la propreté, on l’habite ». Le gouvernement espère désormais que l’habitude fera loi et que, tôt ou tard, la patience citoyenne l’emportera sur la pratique du dépôt sauvage.