Brazzaville, carrefour d’une diplomatie culturelle exigeante
Sous les colonnades néoclassiques de la Maison russe, en plein cœur de Brazzaville, l’atelier « De la mémoire au futur : la littérature construit les ponts du temps » s’est élevé au-delà d’un simple exercice académique. Dans un contexte international marqué par la concurrence des soft powers, la rencontre a mobilisé écrivains, universitaires, juristes et musiciens pour débattre de l’usage stratégique du patrimoine immatériel. La tenue de l’événement dans la capitale congolaise traduit l’ambition, portée par les autorités culturelles, de faire de la République du Congo un pôle régional du dialogue intellectuel, en cohérence avec la feuille de route gouvernementale pour la diplomatie culturelle.
L’initiative, saluée par plusieurs partenaires étrangers, illustre le rôle croissant que l’on prête à la littérature africaine dans la médiation entre peuples. Elle s’inscrit dans le sillage des orientations défendues de longue date par le président Denis Sassou Nguesso, qui voit dans la circulation des idées un vecteur de stabilité et de rayonnement. Les interventions d’experts étrangers et congolais ont montré que l’atelier répond à une double exigence : renforcer la cohésion nationale et nourrir un récit extérieur positif, deux piliers que les chancelleries regardent de près.
Kadima-Nzuji : deux textes phares pour une mémoire partagée
Au centre des discussions, « Redire les mots anciens » (1977) et « La chorale des mouches » (2003) de Mukala Kadima-Nzuji ont offert un terrain d’analyse privilégié. Le premier recueil réactive l’étoffe des proverbes et des chants ancestraux pour rappeler que la dignité collective s’enracine dans la parole. Le second, plus frontal, mobilise la satire pour questionner les métabolismes du pouvoir contemporain. Ensemble, ces textes dessinent un arc narratif qui va de l’inventaire de la sagesse populaire à l’examen critique de nos gouvernances, sans jamais céder au désenchantement.
Le critique David Gomez Dimixson a souligné la dimension « prophétique » de cet ensemble, capable de relier la gravité du passé aux urgences du présent. Citant la notion de « mémoire active », il a expliqué que ces œuvres ne se contentent pas de célébrer les racines ; elles instaurent un dialogue permanent entre langues, générations et institutions. C’est précisément cette fluidité qui confère à la littérature congolaise sa pertinence diplomatique : elle négocie des passerelles entre l’héritage local et l’imaginaire mondial.
L’écrivain, témoin et acteur du projet national
Intervenant en visio depuis Paris, la chercheuse Winner Franck Palmers a rappelé que la fonction de l’écrivain, en République du Congo comme ailleurs, transcende l’esthétique. En reposant la question du témoignage, elle a rapproché Kadima-Nzuji de figures classiques telles que Jean Malonga ou Sony Labou Tansi, toutes animées par la volonté d’inscrire leur plume dans le chantier civique. À ses yeux, la poésie de la transmission est l’un des socles de la résilience, indispensable pour consolider l’accord tacite entre mémoire et modernité.
Cette perspective a été prolongée par le magistrat et romancier Prince Arnie Matoko, qui voit dans la littérature un triptyque : témoigner des siècles, transformer les consciences et inspirer les politiques publiques. Sa remarque trouve un écho particulier dans le contexte congolais, où la stratégie nationale de développement met en avant la culture comme levier de diversification économique. En mobilisant l’imaginaire collectif, l’écrivain accompagne, sans dogmatisme, les réformes de société que le gouvernement appelle de ses vœux.
Écoute citoyenne et modernité des formes
La dimension participative de l’atelier a rappelé que le corpus littéraire n’est pas la chasse gardée des seuls spécialistes. Les questions du public – notamment celles d’Eliezer sur la capacité du roman à préserver la mémoire collective – ont mis en lumière l’appétit d’une jeunesse instruite pour des récits susceptibles de renforcer l’identité nationale. Les panélistes ont insisté sur la valeur pédagogique de la fiction, laquelle permet d’explorer les fractures sociales sans attiser les antagonismes.
La soirée a été ponctuée de performances musicales de Jessy B, KB le Roi et Darius M., preuve que la création artistique congolaise se nourrit d’hybridations. Gospel, slam et rap ont dialogué avec les « mots anciens » de Kadima-Nzuji, incarnant cette continuité entre tradition orale et technologies numériques. Aux yeux des diplomates présents, cette transversalité artistique constitue un atout majeur pour les campagnes de promotion culturelle portées par le ministère des Affaires étrangères.
Enjeux politiques d’une mémoire créative
Au-delà de la célébration littéraire, l’atelier brazzavillois a mis en relief la convergence entre soft power et cohésion interne. Dans un monde où l’image d’un État se construit autant par les forums économiques que par les récits symboliques, la République du Congo consolide sa visibilité en valorisant ses auteurs. L’engagement institutionnel à soutenir les industries culturelles, réaffirmé dans la récente feuille de route du gouvernement, répond aux attentes des partenaires internationaux soucieux de stabilité sociale et de pluralisme mémoriel.
En conclusion des travaux, David Gomez a rappelé que « réhabiliter les figures du passé, c’est fortifier le contrat citoyen ». La formule résume l’esprit d’une diplomatie culturelle qui, tout en célébrant Mukala Kadima-Nzuji, offre des espaces de réflexion à la société civile et conforte la trajectoire modernisatrice soutenue par les autorités. Ainsi, la littérature devient un instrument discret mais décisif de la politique étrangère congolaise, confirmant que la puissance des nations se mesure aussi au rayonnement de leurs bibliothèques.