Une grand-messe panafricaine à Pointe-Noire
La moiteur de la côte atlantique n’a pas découragé les deux cent cinquante chefs d’entreprise, une poignée de ministres et les représentants de cinq institutions financières internationales qui, fin juin, ont pris place dans le modeste centre de conférences de Pointe-Noire. Brandi depuis quinze ans par le groupe Attijariwafa Bank comme vitrine de la « diplomatie des affaires », le Club Afrique Développement signe sa quarante-deuxième édition, attirant pour la première fois un tel aréopage dans la principale ville portuaire congolaise. Dans les couloirs, les discours sur la résilience africaine ont cédé le pas aux calculatrices : la quête d’un point d’entrée régional capable de détourner une part des flux qui convergent habituellement vers Durban ou Abidjan anime désormais les échanges plus que les formules protocolaires.
Le pari portuaire congolais
Le pari congolais repose avant tout sur l’infrastructure maritime. Doté d’un avant-port naturel profond de vingt-huit mètres, le terminal de Pointe-Noire traite officiellement un million d’équivalents vingt pieds, un chiffre encore modeste à l’échelle continentale mais appelé à doubler une fois achevés les travaux d’extension financés conjointement par la Banque africaine de développement et un consortium asiatique. « Nous devons transformer cet avantage bathymétrique en hub logistique intégral », plaide le ministre congolais des Transports, estimant que l’ouverture d’une liaison ferroviaire vers le corridor de Bangui ferait économiser dix jours de transit aux exportateurs d’Afrique centrale. Reste que le nez des pétroliers continue de dominer l’horizon ; le brut représente près de 80 % des recettes d’exportation du pays selon la Banque mondiale.
Coopération sud-sud : promesses et limites
Dans ce contexte, la rhétorique de la coopération sud-sud s’habille d’un réalisme nouveau. Les délégations ivoirienne et marocaine ont successivement vanté la présence de leurs PME de second rang, moins assoiffées de marges exorbitantes que les majors occidentales. Pourtant, plusieurs observateurs rappellent que les précédents forums, de Kigali en 2023 à Dakar en 2024, ont abouti à moins de 15 % de concrétisation contractuelle (AfDB). La multiplication de protocoles d’accords non contraignants nourrit un scepticisme de bon aloi chez les régulateurs régionaux, soucieux de voir les promesses se traduire en création d’emplois plutôt qu’en communiqués triomphants. La diplomatie économique congolaise, encore marquée par la centralité de l’État, doit composer avec une bureaucratie fiscale jugée « opaque » par certains patrons nigérians rencontrés en marge des séances B2B.
Le rôle stratégique du secteur financier
L’activisme du secteur financier, emmené par le Crédit du Congo, n’est pas dénué d’arrière-pensée stratégique. En misant sur des mécanismes de syndication au niveau continental, la filiale d’Attijariwafa Bank sécurise à la fois sa présence dans les grands projets d’infrastructure et consolide un portefeuille de clientèle corporate en quête de levées de fonds en francs CFA. Cette ambition s’accompagne d’un discours sur la durabilité, thème devenu incontournable depuis la conférence de Charm el-Cheikh. Or, les ONG locales notent le décalage entre les appels à la transition verte et la réalité d’un mix énergétique toujours centré sur les hydrocarbures. Le gouverneur de la Banque centrale du Congo a néanmoins annoncé la publication prochaine d’un guide en matière de finance climatique, un premier pas salué prudemment par l’Agence française de développement.
Diversification et crédibilité des réformes
À l’issue des quarante-huit heures de discussions, chacun proclame avoir franchi « une étape décisive ». Les observateurs retiennent surtout le signal politique envoyé par Brazzaville : le régime, confronté à la baisse structurelle de sa production pétrolière, place désormais la diversification au sommet de son agenda. Les futures lois sur les zones économiques spéciales, la réforme du code minier et l’allégement des formalités douanières devront convaincre que l’ère des incantations est révolue. En attendant, la prochaine mission du Club Afrique Développement est déjà annoncée à Lusaka. Les investisseurs continueront de scruter l’alignement entre l’éloquence des forums et la constance des politiques publiques, condition sine qua non pour que Pointe-Noire se transforme réellement en un carrefour logistique compétitif plutôt qu’en énième mirage portuaire africain.