Pointe-Noire, carrefour atlantique au cœur des ambitions régionales
Sous le ciel limpide de la côte sud-atlantique, les portiques de Pointe-Noire dessinent chaque jour la silhouette d’un hub métropolitain en devenir. En six mois, la transition opérée entre Bolloré Transport & Logistics et le géant italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) n’a pas seulement changé l’actionnariat ; elle a confirmé la vocation de la République du Congo à jouer un rôle pivot dans la circulation intercontinentale des marchandises. Alignée sur la vision d’émergence économique portée par le président Denis Sassou Nguesso, l’évolution du terminal conforte la diplomatie d’influence que Brazzaville déploie depuis plusieurs années dans le golfe de Guinée.
Continuité des effectifs et gouvernance sociale sous haute surveillance
L’un des points scrutés par les partenaires sociaux concernait le sort des quelque 1 200 salariés rattachés au terminal à conteneurs. Christophe Pujalte, directeur régional d’Africa Global Logistics (AGL) pour le Congo et la RDC, se félicite aujourd’hui de « l’absence de variation d’effectifs », attribuant cette stabilité à la robustesse du droit du travail congolais et aux concertations menées avec les autorités (entretien, avril 2023). Dans les ateliers comme dans les tours de contrôle, la sérénité affichée par les équipes témoigne d’une intégration réussie à la culture d’entreprise de MSC, premier armateur mondial en volume.
Un investissement cumulé de 400 millions d’euros, vitrine de modernité portuaire
Depuis la concession initiale de 2009, plus de 400 millions d’euros ont été injectés dans le terminal, dont une partie majeure au cours des deux dernières années. Les deux nouveaux portiques Super-Post-Panamax installés en décembre dernier allongent l’ombre de leurs flèches de quarante mètres sur un quai désormais capable d’accueillir des navires de plus de 8 000 EVP. L’an passé, le port a franchi pour la première fois la barre symbolique du million de conteneurs manutentionnés, soit une performance multipliée par cinq par rapport aux volumes de 2009. Cette montée en puissance conforte la stratégie de MSC, résolue à capter le trafic transatlantique tout en desservant l’hinterland de l’Afrique centrale.
Un catalyseur macro-économique au service de l’agenda gouvernemental
Dans un pays où la logistique représente plus de 10 % du produit intérieur brut, chaque point de productivité gagné sur les terminaux se répercute sur la compétitivité globale. Les autorités congolaises y voient un moyen de diversifier l’économie au-delà de la rente pétrolière, conformément au Plan national de développement 2022-2026. Le Trésor public bénéficie déjà des droits de concession et d’un accroissement de la taxation douanière à l’importation. Dans le même temps, l’écosystème portuaire stimule le tissu des PME locales : transitaires, ateliers de maintenance, banques et assurances profitent d’une chaîne de valeur tirée vers le haut par des standards internationaux reconnus.
Diplomatie portuaire et compétition sous-régionale
La montée en puissance de Pointe-Noire intervient dans un contexte de concurrence feutrée avec les ports de Lomé, Abidjan ou Kribi. En se dotant d’une infrastructure capable de traiter les flux Est-Ouest, Brazzaville renforce son poids dans les négociations régionales sur la libre circulation des marchandises. Les cargos de MSC, arborant la livrée noire et rouge de l’armateur, symbolisent désormais un maillage qui relie l’Atlantique Sud aux routes maritimes d’Asie et d’Europe. Cette posture sert également la diplomatie économique congolaise, qui promeut un discours d’ouverture et d’attractivité vis-à-vis des investisseurs, tout en préservant sa souveraineté sur les infrastructures critiques.
Cap sur la logistique pétrolière : un partenariat stratégique avec les majors
Au-delà du conteneur, MSC et AGL affichent l’ambition de devenir un acteur clé de la logistique pétrolière. Discussions, centres de formation et études de faisabilité sont déjà engagés avec TotalEnergies, Eni et Perenco afin de sécuriser le transport de pièces lourdes, de fluides et d’équipements sensibles. À terme, la mise en service d’un terminal spécialisé, couplée à une base de soutien offshore, placerait le Congo dans le haut du tableau des pays africains capables de proposer une chaîne intégrée pour l’amont pétrolier. Côté gouvernemental, cette perspective cadre avec la volonté de maximiser la valeur ajoutée locale et de multiplier les effets d’entraînement sur le marché de l’emploi qualifié.
Regards prospectifs sur la souveraineté logistique congolaise
Si le chantier de modernisation se poursuit au rythme annoncé, Pointe-Noire pourrait atteindre une capacité annuelle de 1,5 million d’EVP d’ici à 2025. Les experts s’accordent à dire que l’enjeu n’est plus seulement technique, mais géopolitique : contrôler la porte d’entrée maritime revient à maîtriser la détente des flux commerciaux et le rythme d’intégration économique sous-régionale. Brazzaville, consciente de cet atout, continue d’accompagner les opérateurs privés tout en veillant à préserver la stabilité sociale et environnementale du corridor logistique. Dans la conjoncture actuelle marquée par des turbulences internationales, la coopération entre l’État congolais et MSC illustre une approche où pragmatisme économique et affirmation de souveraineté marchent de concert, préfigurant un modèle d’alliance public-privé susceptible d’inspirer d’autres capitales africaines.