Aux origines d’une entente atlantique
Lorsque le maire de Pointe-Noire en Guadeloupe, Camille Élisabeth, a signé le 4 juillet dernier un accord de jumelage avec son homologue congolaise, Evelyne Tchichelle, la scène diplomatique a discrètement pivoté vers les collectivités territoriales. Les deux édiles, portés par un même toponyme et par des héritages coloniaux croisés, entendent faire de cette parenté géographique un atout géopolitique. À Brazzaville, le président du Sénat congolais, Pierre Ngolo, a salué un partenariat « à forte valeur symbolique et stratégique », soulignant qu’il s’agit moins d’un événement protocolaire que d’une matrice de projets concrets. Dans un contexte international où les grandes capitales peinent parfois à traduire les ambitions Sud-Sud en réalisations tangibles, la rencontre montre que l’initiative locale conserve une capacité d’innovation diplomatique.
Un jumelage nourri par la diplomatie des peuples
Les élus guadeloupéens évoquent volontiers une « diplomatie des peuples » pour caractériser la démarche. Celle-ci repose sur un dialogue direct entre citoyens, artisans, enseignants et opérateurs touristiques, loin de la verticalité qui marque souvent les relations poste-coloniales. « Nous voulons apporter ce que nous avons de meilleur et recevoir l’excellence congolaise », a confié Camille Élisabeth en marge de l’audience sénatoriale. Par cette réciprocité assumée, les deux municipalités cherchent à réduire l’asymétrie habituelle entre Outre-mer français et États africains, en privilégiant un registre de coopération horizontale. La stratégie rejoint les orientations du gouvernement congolais, qui fait de la diplomatie de proximité un pilier de son ouverture régionale, conformément aux priorités formulées par le président Denis Sassou Nguesso lors des récents forums panafricains.
Tourisme mémoriel et patrimoine partagé
Au-delà de l’échange institutionnel, le volet touristique constitue le premier moteur économique identifié. La Guadeloupe développe depuis une décennie un tourisme mémoriel reposant sur la visite de sites liés à la traite atlantique et à la résistance esclavagiste. Pour la délégation antillaise, étendre cette dynamique au continent d’origine répond à la quête identitaire de nombreuses familles afro-descendantes. Pointe-Noire, capitale économique du Congo, dispose d’un littoral et d’une histoire portuaire propices à cette narration transatlantique. Les autorités congolaises entendent articuler ce tourisme patrimonial avec l’offre balnéaire classique, conformément au Plan national de développement 2022-2026, qui mise sur la diversification hors-pétrole. La convergence des agendas devrait inciter les opérateurs privés à élaborer des circuits conjoints, reliant les deux villes par des packages aériens et culturels calibrés.
Artisanat et savoir-faire, leviers de résilience économique
Le jumelage cible également la relance de savoir-faire artisanaux parfois marginalisés par la modernisation. « Nos ancêtres maîtrisaient des techniques textiles et bois nobles que nous voulons remettre dans le quotidien », expliquait le maire guadeloupéen devant les sénateurs. Côté congolais, des ateliers de sculpture Kongo et de vannerie côtière pourraient bénéficier de programmes de formation croisée, financés par les fonds européens de coopération régionale auxquels la Guadeloupe a accès. Les municipalités souhaitent ainsi créer un label commun, gage d’authenticité, qui renforcerait la résilience des petites entreprises face aux chocs exogènes. Cette démarche complète les objectifs de l’Agence congolaise pour l’artisanat, récemment restructurée pour mieux accompagner les exportations vers les marchés de niche.
Le Sénat congolais, arbitre institutionnel et facilitateur
En recevant la délégation, Pierre Ngolo a rappelé que la chambre haute joue un rôle d’interface entre diplomatie nationale et initiatives locales. Le Sénat entend sécuriser juridiquement les engagements pris et s’assurer qu’ils s’alignent sur la politique étrangère du pays. Cette vigilance n’est pas bureaucratique ; elle traduit la volonté d’inscrire la coopération dans la durée, au-delà des mandatures municipales. Brazzaville évalue en outre l’opportunité d’élargir la formule à d’autres collectivités antillaises ou lusophones, renforçant ainsi le maillage d’alliances non-étatiques qui constituent aujourd’hui un atout pour l’influence congolaise.
Perspectives stratégiques pour la coopération Sud-Sud
À terme, le jumelage des deux Pointe-Noire pourrait servir de laboratoire à une diplomatie décentralisée capable de répondre simultanément aux impératifs historiques, économiques et climatiques. L’Atlantique sud, longtemps périphérique dans les études stratégiques, devient un espace de circulation de capitaux culturels et humains que les collectivités tentent d’anticiper. Les retombées attendues en matière d’emploi, de formation et d’attractivité touristique contribueront à l’agenda de développement congolais tout en consolidant l’ancrage caribéen dans les réseaux africains. Si la réussite dépendra de la capacité des deux villes à mobiliser des financements et à évaluer leurs projets, la trajectoire amorcée illustre déjà la vitalité d’une diplomatie africaine tournée vers des partenariats innovants, pragmatiques et résolument orientés vers l’avenir.