Modernisation commerciale et stratégie gouvernementale
Lorsque le cortège officiel s’est engagé dans les artères du quartier Emery Patrice Lumumba, nombreux sont les observateurs qui ont perçu, au-delà du simple déplacement protocolaire, le signal d’une stratégie plus vaste. Le ministre de l’Assainissement, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, n’a pas manqué de rappeler que les marchés domaniaux modernes constituent l’un des leviers privilégiés du Plan national de développement 2022-2026, lequel mise sur la requalification des infrastructures de base pour soutenir l’activité commerciale tout en améliorant la salubrité urbaine.
Un chantier à 90 % : indicateur de performance publique
Sur le site du marché central, la silhouette en béton armé du complexe R+2, confié au constructeur italien Franco Villarecci, atteste d’un taux d’exécution s’élevant à près de 90 %. L’élargissement des caniveaux, la réhabilitation des voies d’accès et l’intégration de chambres froides traduisent le souci d’allier exigences sanitaires et fluidité logistique. Aux yeux des bailleurs internationaux, cette ponctualité d’exécution apparaît comme un argument supplémentaire pour consolider leur confiance dans les capacités de maîtrise d’ouvrage de l’État congolais.
Marché de la Paix : la surprise d’un chantier en avance
Moins médiatisé que son pendant du centre-ville, le marché de la Paix, situé dans le 3e arrondissement Tié-Tié, a pourtant volé la vedette lors de la tournée ministérielle. Le rythme de progression, qualifié de « célérité encourageante » par le ministre, consacre la montée en compétence des entreprises locales : plus de 65 % des sous-traitants sont congolais, un ratio inédit pour un projet d’une telle envergure. À terme, l’ouvrage offrira 3 000 étals abrités, dotés d’aires de tri des déchets organiques, répondant aux standards de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Impact sanitaire et désengorgement de la voirie
La réorganisation des flux marchands devrait réduire sensiblement les décharges sauvages qui proliféraient autour des anciens points de vente à ciel ouvert. Selon la direction départementale de la santé, le pic de cas de maladies hydriques relevé en saison des pluies pourrait reculer de 25 % après l’entrée en service des nouveaux marchés, grâce à la collecte centralisée des eaux usées et à l’installation de onze postes de lavage de mains. Parallèlement, la municipalité prévoit le réaménagement de six carrefours adjacents afin de désengorger la circulation, mesure saluée par les transporteurs urbains.
Dimension économique : du commerce de proximité à l’intégration régionale
Au-delà de l’amélioration du cadre de vie, les marchés domaniaux ambitionnent de devenir des nœuds d’échanges à l’échelle régionale. Pointe-Noire, adossée au corridor ferro-portuaire Congo-Océan, capte déjà plus de 40 % du fret à destination de la sous-région. En dotant la ville d’infrastructures commerciales adaptées, les autorités entendent renforcer la compétitivité des filières vivrières locales, limiter la dépendance aux importations et créer un effet d’entraînement sur l’emploi informel, secteur qui mobilise près de 70 % de la main-d’œuvre urbaine.
Gouvernance et partenariats : un modèle à consolider
Les financements mobilisés – environ 18 milliards de francs CFA, selon le ministère des Finances – reposent sur une combinaison de ressources budgétaires et de crédits concessionnels. Certains analystes interrogés estiment que ce mixte financier illustre l’aptitude de Brazzaville à équilibrer rigueur macroéconomique et investissements structurants. La contractualisation avec des opérateurs privés pour la gestion future des espaces marchands demeure toutefois un enjeu clé : elle devra garantir à la fois la rentabilité de l’exploitation et la modération des tarifs locatifs pour les petits commerçants.
Perception sociale : attentes, espoirs et prudence
Dans les ruelles adjacentes, les vendeuses de vivrier, principales concernées, oscillent entre impatience et prudence. « Nous voulons des étals sûrs, mais accessibles », confie Mme Ekouala, marchande de manioc installée depuis quinze ans sur le site de l’Och. Les autorités ont déjà publié un barème indicatif de redevances, inférieur de 12 % aux loyers pratiqués dans les marchés privés environnants, mesure destinée à prévenir la spéculation. Cette démarche, saluée par plusieurs organisations de la société civile, témoigne d’une volonté d’inclusion économique.
Une feuille de route alignée sur la diversification nationale
En se fixant pour horizon le premier semestre 2025 pour la mise en service intégrale, le gouvernement inscrit ces marchés dans la dynamique de diversification économique engagée depuis la crise pétrolière de 2014. Les observateurs diplomatiques notent que la symbolique est forte : d’une part, elle traduit la capacité du pays à transformer les recettes extractives en infrastructures tangibles ; d’autre part, elle renforce l’image d’un Congo-Brazzaville résolument tourné vers la modernité, mais attentif aux équilibres sociaux.
Ainsi, de la gestion des déchets à l’essor du commerce transfrontalier, les marchés domaniaux de Pointe-Noire incarnent un laboratoire de politiques publiques que les capitales voisines scrutent avec intérêt. Tandis que les travaux de finition se poursuivent, le pari gouvernemental apparaît techniquement tenu ; l’enjeu des prochains mois sera de convertir cette réussite bâtisseuse en un gain durable pour l’économie locale et le bien-être des populations.