Signaux d’une saison des pluies en mode mineur
Depuis la mi-septembre, la grande saison des pluies censée rafraîchir Brazzaville tarde à imposer son rythme. Les pluviomètres de l’aéroport Maya-Maya n’ont enregistré que deux épisodes dépassant dix millimètres, bien en dessous des moyennes décennales établies par la direction générale de la météorologie.
Le contraste avec les mêmes semaines l’an dernier frappe les habitants: les ruelles du quartier Poto-Poto n’ont pas été inondées une seule fois, et la poussière continue de se mêler aux gaz d’échappement, signe visuel d’un ciel encore avare en gouttes.
Quartiers nord: la corvée d’eau persiste
À Mpila et à Ouenzé, l’eau potable ne coule au robinet que tôt le matin, parfois une heure à peine. Faute de stockage suffisant, les ménages alignent seaux et bidons près des rares forages, où l’attente peut dépasser deux heures lorsque la chaleur gagne.
Gisèle, étudiante en première année de droit, explique que ses révisions s’interrompent chaque soir pour aller puiser: «Nous comptions sur les orages pour remplir les cuves, mais le ciel reste bleu. Nous devons acheter des sachets d’eau, un budget imprévu» confie-t-elle.
Les explications des météorologues
Pour la direction générale de la météorologie, la situation n’est pas exceptionnelle mais souligne un démarrage «en dents de scie». Selon le chef de service prévisions, Guy Koumba, l’alternance rapide entre masses d’air sèches venues du Sahel et fronts humides de l’Atlantique freine la convection.
«Nous restons sur des cumuls inférieurs de 30 % à la normale pour octobre, précise-t-il. Toutefois, les modèles numériques indiquent une reprise progressive à partir de la deuxième moitié de novembre, avec plusieurs ondes de Madden–Julian susceptibles de dynamiser la zone de convergence intertropicale».
Un climat qui change: quelles conséquences?
Le Centre congolais de recherche géographique rappelle que la courbe des précipitations moyennes décline de deux millimètres par an depuis trois décennies. Ce glissement discret accroît la variabilité, rendant chaque début de saison plus imprévisible pour l’agriculture péri-urbaine et pour la gestion de l’eau.
L’économiste Clément Ndolo avertit que la facture énergétique de la Société nationale de distribution d’eau pourrait grimper si les pompes tournent plus longtemps pour compenser l’absence de recharge naturelle des réservoirs: «Un mètre cube produit coûte déjà près de 500 FCFA», rappelle-t-il.
Initiatives locales pour sécuriser l’approvisionnement
À Makélékélé, des associations de jeunes ont lancé une opération de nettoyage des puits traditionnels obstrués par les feuilles. Armés de seaux et de cordes, ils retirent les sédiments afin de réhabiliter ces points d’eau qui servent de relais lorsque le réseau public flanche.
De son côté, la start-up H2O-Brazzaville installe des kits de collecte de pluie sur les toits des écoles pour offrir de l’eau non traitée aux sanitaires. Son responsable technique assure que «même avec des averses plus courtes, un toit de cent mètres carrés permet de remplir deux citernes».
Que disent les autorités et la SNDE?
Le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique affirme suivre l’évolution pluviométrique «heure par heure». Un communiqué promet des forages supplémentaires dans les arrondissements six et sept, tandis qu’une cellule mixte météo-hydraulique a été créée pour anticiper la demande pendant les périodes de faible recharge.
La Société nationale de distribution d’eau, pour sa part, annonce l’arrivée de pompes de secours financées par une ligne de crédit de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale. Elles doivent porter la production de la station de Djiri à cent soixante mille mètres cubes quotidiens d’ici décembre.
Dans la même logique, l’Agence congolaise de l’environnement multiplie les messages radios sur la consommation responsable, invitant les ménages à réparer les fuites domestiques, à réutiliser l’eau de lavage des légumes pour l’arrosage et à éviter les branchements pirates qui aggravent la baisse de pression.
Perspectives pour les semaines à venir
Les modèles saisonniers de l’Agence régionale de surveillance du climat situent la probabilité d’un retour à des cumuls proches de la moyenne à soixante-cinq pour cent. Si ce scénario se confirme, la plaine du Congo pourrait recevoir plusieurs épisodes orageux concentrés entre fin novembre et mi-janvier.
En attendant, les agronomes conseillent aux maraîchers de différer certains semis sensibles au stress hydrique, comme la laitue et le cresson, jusqu’à ce que le sol retrouve une humidité suffisante. Des ateliers de vulgarisation sont prévus au marché Total et à Vindoulou la semaine prochaine.
Adapter le réseau pour demain
Les pluies timorées posent aussi la question de l’adaptation des infrastructures. L’ingénieur hydraulicien Marc Oba rappelle que plusieurs conduites datent des années 1980: «Même avec les meilleurs forages, le réseau perd jusqu’à trente pour cent par fuites, il faut moderniser» dit-il.
À court terme, les spécialistes recommandent des gestes simples : couvrir les réserves d’eau pour limiter l’évaporation, installer des réducteurs de débit dans les douches, ou mutualiser l’accès aux puits de voisinage afin de réduire les déplacements et la pression sur le réseau.
Pour nombre de Brazzavillois, l’enjeu dépasse la météo: il s’agit de garantir chaque jour un robinet qui coule. Si les nuages reviennent, les réserves se reconstitueront. Sinon, l’ingéniosité collective et l’appui des services publics demeureront le meilleur parapluie contre la soif urbaine.