Circulation métallique et résilience économique
Depuis la mise en circulation du premier lot de nouvelles pièces, en avril dernier, les marchés de Douala à Pointe-Noire ont confirmé l’attachement des ménages au numéraire métallique. La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) entend répondre à cette demande persistante en injectant, dès ce mois de juillet, une nouvelle tranche de jetons pour un montant total annuel de 500 millions de francs CFA. Dans un contexte où le billet de faible valeur se raréfie et où l’inflation grignote le pouvoir d’achat, la disponibilité de pièces sonnantes et trébuchantes devient un facteur de résilience économique.
« Nous disposons encore d’un stock industriel prêt à irriguer l’ensemble des six pays de la Cémac », a assuré le gouverneur Yvon Sana Bangui lors de sa conférence de presse consécutive au Comité de politique monétaire (30 juin 2025). En ciblant les valeurs de 1 à 500 F CFA, la Banque centrale vise d’abord les micro-transactions quotidiennes, celles qui rythment la vie des marchés et conditionnent la perception tangible de la stabilité des prix.
Les ressorts monétaires d’une décision concertée
La décision d’accélérer la diffusion de pièces s’inscrit dans un paquet de mesures calibrées pour contenir l’inflation, revenue à 2,8 % en moyenne annuelle selon les projections 2025 de la BEAC, après un pic à 4,1 % en 2024. La transmission rapide de la politique monétaire dans des économies largement cash dépendantes justifie l’attention portée à la monnaie divisionnaire. En fluidifiant la petite monnaie, l’Institut d’émission réduit les risques de majorations arbitraires de prix liées au manque de rendu, tout en confortant la crédibilité de l’ancrage franc CFA/euro.
Le maintien du taux directeur à 4,50 % et des réserves obligatoires inchangées souligne la priorité donnée à la prévisibilité. Pour les diplomates en poste à Brazzaville, cette stabilité participe d’un climat d’affaires rassurant, bénéfique à l’arrivée d’investissements dans l’agro-industrie ou les services, secteurs peu intensifs en devises mais fortement utilisateurs de liquidités locales.
Congo-Brazzaville : micro-transactions et confiance populaire
Sur les marchés de Makélékélé comme dans les échoppes de Dolisie, la raréfaction des petites coupures avait parfois contraint les commerçants à recourir à des bons manuscrits ou à des sucreries en guise de monnaie d’appoint. L’arrivée des nouvelles pièces est donc accueillie favorablement par les acteurs du commerce de détail congolais, qui y voient un instrument de fluidification et, partant, un soutien indirect au revenu informel. Le gouvernement de la République du Congo, engagé dans la diversification post-pétrolière inscrite au Plan national de développement, peut ainsi compter sur une logistique monétaire plus fiable.
Le professeur Thierry Milandou, économiste à l’Université Marien-Ngouabi, souligne que « l’aisance à rendre la monnaie nourrit la confiance interpersonnelle, indispensable au dynamisme des marchés de rue ». Une confiance d’autant plus cruciale que la croissance sous-régionale devrait se tasser à 2,4 % en 2025, notamment du fait du reflux temporaire de la production pétrolière. Pour Brazzaville, où l’État a consolidé ses équilibres budgétaires, l’enjeu est de maintenir la consommation intérieure et d’amortir les fluctuations externes sans recourir à des mesures coercitives.
Logistique bancaire et partenariat public-privé pour la diffusion
La BEAC a instruit ses directions nationales d’instaurer, avec l’appui des associations de commerçants, des guichets hebdomadaires d’échange de pièces. À Bangui, cette organisation pilote a déjà permis de distribuer 37 % du stock disponible. À Brazzaville et Oyo, la Société générale et la BGFIBank se sont portées volontaires pour tester des automates capables de délivrer des rouleaux de pièces, limitant les files d’attente dans les agences. L’initiative illustre une complémentarité public-privé souvent recommandée par les partenaires techniques (FMI, Banque mondiale) pour moderniser les infrastructures financières en Afrique centrale.
Les transporteurs de valeurs, quant à eux, ont été conviés à renforcer leurs contrôles de traçabilité afin d’éviter toute fuite hors zone Cémac. Interrogé sur ce point, un responsable sécuritaire congolais rappelle que « le respect de la réglementation sur la libre circulation des capitaux ne saurait se traduire par une porosité physique de la monnaie » ; allusion implicite aux inquiétudes liées à une éventuelle exportation clandestine de pièces vers les zones frontalières à régime de change différent.
Perspectives macroéconomiques et diplomatie financière régionale
En choisissant de maintenir ses taux tout en renforçant le numéraire, le Comité de politique monétaire opte pour un dosage associant orthodoxie et pragmatisme. Le léger recul des réserves de change (-3,2 % à fin 2025) demeure contenu, le taux de couverture extérieure de 72,7 % restant supérieur au seuil de précaution fixé par la Cémac. À moyen terme, la préservation de cette ligne de flottaison renforce la position de la sous-région dans ses discussions avec les bailleurs, qu’il s’agisse des négociations de programmes d’appui budgétaire ou des dialogues sur la transition énergétique.
Pour le Congo-Brazzaville, membre clé des mécanismes de concertation régionale, la bonne tenue des indicateurs monétaires offre un levier diplomatique non négligeable. En témoigne la récente session du Comité ministériel de l’Union monétaire, où les autorités congolaises ont rappelé leur volonté de promouvoir une gestion collective des recettes pétrolières et une montée en puissance des filières vertes. Dans cette équation, la petite pièce de 50 F apparaît comme un signal, certes modeste, mais évocateur d’une ambition plus large : ancrer la stabilité macroéconomique au quotidien des citoyens et conforter la crédibilité internationale de la Cémac.