Un projet douanier inattendu et controversé
Au cœur de l’hiver austral, la publication par le Department of Trade, Industry and Competition d’un projet d’augmentation des droits de douane sur les modules photovoltaïques a agi comme un électrochoc. Le taux actuellement plafonné à 10 % pourrait être porté jusqu’à 30 %, voire 40 % selon les variantes en circulation depuis la mi-juin (communiqué ministériel du 14 juin 2024). La décision, motivée officiellement par la nécessité de « créer un écosystème manufacturier local robuste », a immédiatement suscité l’ire de l’Association des producteurs d’énergies renouvelables (AREP), qui redoute une hausse « inévitable » des coûts de projets déjà soumis aux tensions financières provoquées par la crise d’Eskom.
Pressions politiques internes et impératifs industriels
À Pretoria, les ministres du Commerce et de l’Énergie travaillent sous le feu croisé des entrepreneurs sud-africains, des syndicats métallurgiques et d’un parti au pouvoir soucieux de préparer les élections de 2027. « Nous ne pouvons pas demeurer captifs d’importations alors que notre taux de chômage industriel dépasse 30 % », plaide le vice-ministre Fikile Majola, convoquant l’argument souverainiste populaire depuis la pandémie. Les partisans de la hausse tarifaire tablent sur l’effet protecteur d’un marché domestique estimé à 4 GW par an d’ici 2026, susceptible de générer 10 000 emplois manufacturiers à moyen terme, selon le Conseil sud-africain de la recherche scientifique et industrielle.
Regard comparé : la dépendance vis-à-vis des importations chinoises
En 2023, près de 85 % des cellules et modules installés dans le pays provenaient de Chine (Customs Data SA, 2024). Cette asymétrie alimente la crainte d’un étranglement géopolitique semblable à celui que connaît l’Europe sur les terres rares. « La mesure risque de créer une double peine pour les investisseurs, pénalisés à la fois par le risque pays et par un surcoût douanier », avertit Lerato Dlamini, présidente de l’AREP. À l’inverse, plusieurs députés de l’ANC voient dans la future taxe l’occasion de renégocier, « d’État à État », des transferts technologiques plus substantiels avec les conglomérats asiatiques.
Effets possibles sur la transition énergétique et l’emploi
Le timing de l’initiative interroge, alors que le plan IRP 2023 fixe un objectif de 18 GW de solaire supplémentaire à horizon 2030 pour pallier les délestages récurrents. Selon la Banque de développement sud-africaine, une hausse de 20 points de pourcentage sur les droits d’entrée renchérirait de 6 % le coût par mégawatt-crête, soit l’équivalent d’une demi-année de subventions étatiques au programme de toitures résidentielles. « En ralentissant les déploiements, on retarde aussi la création d’emplois en aval, dans l’installation et la maintenance », souligne Sipho Moeti, économiste au think tank Mapungubwe Institute. La centrale syndicale COSATU, traditionnel allié de l’ANC, demeure paradoxalement divisée : son aile industrielle applaudit la protection espérée des ateliers locaux, tandis que ses branches des services dénoncent l’impact possible sur la facture énergétique des ménages modestes.
Réactions internationales et contrecoup diplomatique
Si Bruxelles suit l’affaire avec discrétion, Pékin a déjà laissé entendre qu’une telle mesure pourrait violer l’esprit de l’Accord de partenariat économique signé sous l’égide des BRICS. « Les taxes punitives ne sont pas compatibles avec l’idée d’une chaîne d’approvisionnement ouverte », rappelle l’ambassade de Chine à Johannesburg. Washington, en revanche, y voit la confirmation d’une tendance mondiale à la relocalisation verte et laisse filtrer son intérêt pour un partenariat « mines contre panneaux » qui consoliderait l’accès américain au platine et au manganèse sud-africains.
Vers une sortie de crise ?
Conscient du risque de contentieux à l’Organisation mondiale du commerce, le gouvernement a lancé une consultation accélérée de quatre-vingt-dix jours. Plusieurs scénarios sont désormais sur la table : un relèvement graduel indexé sur la montée en puissance d’usines locales, un mécanisme de remboursement partiel pour les développeurs qui intègrent plus de 30 % de contenu sud-africain, voire la création d’un fonds de modernisation alimenté par les recettes douanières. « L’objectif n’est pas de fermer la porte, mais d’offrir un tremplin à notre industrie », rassure Thabo Mokoena, directeur général au ministère du Commerce. La décision finale, attendue en octobre, devra concilier urgence climatique, stabilité sociale et crédibilité commerciale d’un pays qui aspire encore à jouer le rôle de hub énergétique du continent.