Une décision qui interroge la gouvernance publique
Le conseil d’administration de PetroSA a officiellement validé, fin mai, une augmentation de près de 20 % de la rémunération de Sesakho Magadla, directrice générale par intérim cumulant également la tête du Strategic Fuel Fund. La mesure intervient alors que la compagnie, propriété de l’État, a enregistré pour l’exercice 2023 un nouveau déficit opérationnel, porté à plus de 1,7 milliard de rands selon les états financiers provisoires communiqués au Trésor. Dans un environnement où chaque rand public est scruté, le signal envoyé étonne jusque dans les rangs du Congrès national africain, pourtant habitué aux turbulences des entreprises publiques.
Un secteur énergétique sous pression budgétaire
Depuis la fermeture de la raffinerie de Mossel Bay en 2020, PetroSA peine à retrouver un modèle économique rentable. L’appareil productif, jadis fleuron de l’indépendance énergétique sud-africaine, est désormais tributaire d’importations massives de condensats, renchéries par la volatilité du baril et la faiblesse du rand. Selon le ministère des Ressources minérales et de l’Énergie, la compagnie n’a pas dégagé d’excédent net depuis 2014, aggravant l’exposition du Trésor déjà sollicité par Eskom et Transnet.
Dans ce contexte, chaque décision managériale résonne au-delà des murs de la société. « Nous devons récompenser la performance, pas la fonction », souffle un haut fonctionnaire du National Treasury, rappelant que toute revalorisation supérieure à l’inflation doit, en principe, être agréée par le cabinet ministériel. Le dossier n’aurait pas encore franchi cette étape, d’où l’inconfort manifeste de plusieurs membres du Parlement.
L’équation politique du Congrès national africain
À un an des élections générales, le gouvernement Ramaphosa cherche à convaincre qu’il maîtrise enfin la réforme des entités d’État. L’affaire PetroSA tombe mal : elle rappelle les années d’opacité qui ont jalonné les scandales de corruption à l’ère Zuma. L’opposition, emmenée par la Democratic Alliance, dénonce une « prime à l’échec », tandis que les Economic Freedom Fighters y voient une preuve supplémentaire de la « capture de l’État » par une élite technocratique.
De son côté, le ministère de l’Énergie défend une posture pragmatique. Sesakho Magadla, ingénieure de formation passée par Chevron, serait la mieux placée pour mener la relance industrielle de Mossel Bay et négocier les partenariats aval avec QatarEnergy et Eni. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des profils rares au seul motif d’une perception médiatique », argue un conseiller ministériel, invoquant la fuite des talents vers le secteur privé.
Entre transparence et impératifs de rétention des talents
La décision salariale met en lumière le dilemme classique des entreprises publiques : garantir l’attractivité des postes stratégiques sans nourrir la défiance citoyenne. Les syndicats, traditionnellement critiques des rémunérations patronales, observent cette fois-ci un silence prudent. La National Union of Mineworkers redoute en effet qu’un tour de vis budgétaire se traduise par le gel des négociations salariales de ses adhérents.
Sur le plan juridique, la lettre de mission de Magadla n’excède pas douze mois. Le conseil d’administration s’appuie donc sur une fenêtre courte pour justifier la prime, considérée comme un « levier d’engagement ». Pourtant, le King IV Report, référence sud-africaine en matière de bonne gouvernance, recommande que toute variable de rémunération soit corrélée à des indicateurs de performance clairement communiqués. En l’absence de publication officielle de ces KPI, les critiques se multiplient dans la presse financière.
Quelle crédibilité pour la réforme de la compagnie ?
Au-delà du cas individuel de la directrice générale, la controverse met en relief le besoin de clarifier la stratégie de PetroSA. Le ministère des Finances planche depuis février sur un schéma de recapitalisation conditionné à des cessions d’actifs non stratégiques et à l’implantation d’un nouveau partenaire technique sur Mossel Bay. En parallèle, une proposition de loi vise à renforcer les pouvoirs de l’Auditor-General pour contraindre les sociétés d’État à publier, tous les six mois, un tableau consolidé des rémunérations de leurs cadres.
À Pretoria, plusieurs diplomates occidentaux, engagés dans la « Just Energy Transition Partnership », observent la séquence avec circonspection. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, contributeurs clés du paquet de 8,5 milliards de dollars, insistent sur la nécessité d’une gouvernance irréprochable pour sécuriser les décaissements. « Chaque euro doit conforter la transition juste, pas financer des ajustements de salaires intempestifs », confie un négociateur européen.
Si la polémique devait s’enliser, elle pourrait compliquer l’accès aux marchés de capitaux, déjà frileux. L’agence Moody’s a récemment rappelé que les garanties explicites de l’État sud-africain envers ses entreprises publiques pèsent désormais plus de 14 % du PIB. Une augmentation symbolique, même limitée à quelques millions de rands, devient alors un enjeu de crédibilité macro-économique.