Un cadrage budgétaire ébranlé par la volatilité pétrolière
À peine présenté, le projet de loi de finances nigérian pour l’exercice 2025 – chiffré à 54 990 milliards de nairas, soit quelque 119,5 milliards de dollars – se retrouve déjà sous la loupe critique du Fonds monétaire international. Dans son Article IV rendu public le 2 juillet à Washington, l’institution souligne la contraction inattendue des cours du Brent, passés sous les 80 dollars, alors que les prévisions gouvernementales tablaient sur un baril plus généreux. Ce décalage menace la trajectoire de recettes, dans un pays où les hydrocarbures continuent de fournir près de la moitié des revenus publics malgré les efforts de diversification amorcés depuis une décennie.
La nervosité des marchés provient pour partie du ralentissement industriel chinois, premier consommateur mondial, et des signaux de surcapacité provenant de certains producteurs non-OPEP. Abuja constate que chaque dollar retranché du baril se traduit par un manque à gagner d’environ 50 milliards de nairas, un chiffre significatif pour un Trésor qui doit simultanément financer des subventions à l’énergie et un ambitieux plan d’infrastructures autoroutières.
Les recommandations du FMI : discipline, ciblage et transparence
Le rapport du Fonds préconise une revue à mi-parcours du cadrage macroéconomique, invoquant la nécessité de « maintenir la crédibilité de la trajectoire budgétaire » (rapport Article IV, 2 juillet 2024). Concrètement, il s’agit d’abaisser l’hypothèse de prix du brut, de renforcer la fiscalité non pétrolière et de comprimer les dépenses non prioritaires sans obérer la cohésion sociale. Le FMI applaudit la récente suppression partielle de la subvention sur l’essence mais encourage la mise en place de filets de sécurité plus ciblés afin de protéger les ménages vulnérables des hausses induites des prix à la pompe.
Sur le front monétaire, l’institution salue le passage à un taux de change davantage unifié, qui réduit l’écart avec le marché parallèle, mais insiste sur la nécessité de reconstituer le coussin de réserves internationales pour atténuer la volatilité du naira. La Banque centrale du Nigeria est invitée à communiquer de manière plus prévisible, condition jugée indispensable au retour d’investissements de portefeuille à long terme.
Les arbitrages d’Abuja : entre impératifs sociaux et exigence d’investir
Depuis son entrée en fonction, le président Bola Tinubu met l’accent sur une modernisation des infrastructures routières et énergétiques, considérées comme clés pour le décollage industriel. Réduire ces enveloppes serait politiquement coûteux, d’autant que 2025 marquera la seconde moitié de son mandat, période traditionnellement scrutée par l’opinion. Dans le même temps, les revendications salariales de la fonction publique se multiplient, alimentées par une inflation qui a frôlé les 34 % en glissement annuel en mai 2024.
Le ministère des Finances explore par conséquent des pistes intermédiaires : rationalisation progressive des subventions aux carburants, élargissement de la base de la TVA – encore en deçà du potentiel régional – et partenariats public-privé pour les infrastructures. L’objectif reste de contenir le déficit autour de 3,5 % du PIB, seuil jugé compatible avec la soutenabilité de la dette qui, malgré une hausse récente, demeure inférieure à 40 % du PIB, ratio considéré comme modéré au regard des standards panafricains.
Effets d’entraînement régionaux : CEEAC, Golfe de Guinée et investisseurs
La révision budgétaire nigériane est suivie de près par les capitales d’Afrique centrale et du Golfe de Guinée, à commencer par Brazzaville, Libreville et Malabo. Le Nigeria représente la première économie de la zone et un marché d’exportation majeur pour ses voisins, notamment en ciment, sucre et produits manufacturés légers. Une consolidation budgétaire trop brutale pèserait sur la demande régionale, tandis qu’une dérive macroéconomique renchérirait le coût du financement pour l’ensemble des émetteurs souverains de la sous-région. Les chancelleries insistent donc sur la recherche d’un juste équilibre, tel que souligné par un diplomate congolais : « Un Nigeria financièrement stable demeure le meilleur amortisseur pour l’économie du Golfe de Guinée. »
Au-delà de la dimension commerciale, la coordination sécuritaire sur le littoral – lutte contre la piraterie et contrebande – dépend partiellement des moyens budgétaires d’Abuja. Les programmes conjoints avec la République du Congo et le Cameroun exigent un financement pérenne. La faculté du gouvernement nigérian à préserver une trajectoire budgétaire crédible enverra, selon plusieurs analystes de marché, un signal positif aux bailleurs multilatéraux désireux de déployer des fonds dans les corridors logistiques transfrontaliers.
Perspectives : vers un nouveau contrat de confiance
Les discussions entamées entre le ministère nigérian des Finances, la Banque centrale et les experts du FMI devraient aboutir à une note rectificative dès la session parlementaire d’automne. Dans l’intervalle, la priorité pour Abuja sera de maintenir le dialogue social afin de contenir les tensions liées à la réforme des subventions et à la dépréciation du naira. Les acteurs privés interrogés à Lagos se disent attentifs au calendrier d’exécution des projets routiers et portuaires, considérés comme catalyseurs de productivité à moyen terme.
À moyen horizon, le Nigeria peut capitaliser sur un potentiel gazier abondant, la tech émergente de la « Silicon Lagoon » et un marché intérieur de 220 millions de consommateurs. La révision budgétaire sollicitée par le FMI ne constitue pas un renoncement mais plutôt un recalibrage destiné à préserver la confiance des marchés. Dans un environnement pétrolier structurellement plus incertain, la crédibilité des politiques publiques s’impose comme l’actif le plus précieux d’Abuja. Il appartiendra au pouvoir exécutif et au législatif de transformer cette contrainte en opportunité, afin de graver dans le marbre un nouveau contrat de confiance entre l’État, les investisseurs et la population.