La quantité, nouveau levier de l’influence économique régionale
Il a suffi de trois chiffres pour mettre en émoi les analystes de marchés : 731 000 tonnes d’arachides annoncées par Dakar, 500 000 tonnes de soja envisagées par Lomé pour 2025-2026, et un taux d’inflation kényan stabilisé à 3,8 % en juin. Ces données, diffusées en toute sobriété dans les pages spécialisées de la presse financière, révèlent pourtant l’ombre d’une reconfiguration silencieuse des rapports de force sur le continent. Là où l’on guettait l’évolution des cours pétroliers, c’est désormais la courbe des volumes agricoles qui sert d’indicateur avancé de puissance douce et de résilience macro-économique.
Le Sénégal place l’arachide au cœur de son soft power
En portant la filière arachidière à un niveau inédit depuis deux décennies, Dakar consolide un outil d’influence qu’il maîtrise de longue date. La signature récente de protocoles d’exportation vers certains marchés asiatiques illustre cette stratégie de rayonnement par la sécurité alimentaire. « Le grain est une monnaie d’échange plus solide qu’une devise volatile », confie un conseiller du ministère sénégalais de l’Agriculture, soulignant que cette manne sert aussi à négocier des infrastructures portuaires ou des transferts de technologies semencières. Les partenaires multilatéraux saluent une gouvernance qui, sans renoncer aux exigences environnementales, sécurise les revenus de près de deux millions d’agriculteurs et fait du Sénégal un pourvoyeur crédible de matières premières végétales.
Togo : le pari protéinique du soja comme catalyseur d’alliances industrielles
L’ambition togolaise de franchir le cap du demi-million de tonnes de soja constitue un signal adressé tant au secteur privé qu’aux bailleurs institutionnels. Lomé mise sur la montée en gamme de ses exportations protéiniques pour attirer des investissements dans la transformation locale. Selon un expert de la Banque ouest-africaine de développement, la construction d’unités d’extraction d’huile et de tourteaux pourrait générer, à terme, un excédent commercial de plusieurs centaines de millions de dollars. Ce mouvement s’inscrit dans la recherche d’une souveraineté industrielle partagée où la filière agricole devient le socle d’un « marketing national » capable de séduire les conglomérats agroalimentaires d’Asie et d’Europe.
Kenya : quand la stabilité des prix devient argument d’attractivité
À Nairobi, les 3,8 % d’inflation consolidée en juin confirment la capacité de la Banque centrale kényane à naviguer entre pressions internationales sur les prix et nécessité de soutenir la demande intérieure. Le maintien du shilling dans une bande de fluctuation étroite rassure les créanciers souverains, tandis que le plan d’assainissement budgétaire entamé en 2023 poursuit ses effets. Un diplomate européen reconnaît que « cette forme de discipline monétaire accroît la crédibilité du Kenya au sein des forums africains de renégociation de dettes ». La stabilité kényane, couplée à des initiatives d’agriculture intelligente, pourrait ainsi favoriser un alignement de positions entre l’Est et l’Ouest africains sur les dossiers de sécurité alimentaire.
Répercussions pour la CEMAC et positionnement de Brazzaville
Dans la zone CEMAC, où la République du Congo s’efforce de diversifier son économie, l’écho des succès sénégalais et togolais nourrit une réflexion stratégique. Brazzaville, qui pilote un programme de relance de la ceinture agricole du Niari, observe avec intérêt les mécanismes incitatifs déployés à Dakar et Lomé. À en croire un cadre du ministère congolais des Finances, « l’intégration sous-régionale ne peut plus se réduire à la convergence monétaire ; elle exige une solidarité productive autour des filières stratégiques ». Les autorités entendent s’inspirer, sans les copier, des modèles ouest-africains pour valoriser le potentiel vivrier national, dans le respect des orientations fixées par le Plan national de développement et avec le soutien constant des partenaires bilatéraux.
Vers une gouvernance concertée des filières stratégiques
L’année 2025 pourrait ainsi marquer un tournant où les cultures d’exportation se muent en vecteurs diplomatiques assumés. Le trinom Sénégal-Togo-Kenya démontre qu’il est possible de conjuguer performances agricoles, maîtrise des prix et projection d’influence. Les organisations régionales y voient l’opportunité de mutualiser les initiatives de stockage, de recherche variétale et de financement vert, tandis que les bailleurs historiques plaident pour une plus grande lisibilité des filières afin de sécuriser leurs engagements. À terme, cette dynamique collective devrait renforcer les chaînes de valeur continentales et réduire la dépendance aux importations extra-africaines.
Une Afrique agricole plus souveraine, gage de stabilité géopolitique
Au-delà des bénéfices économiques immédiats, la montée en puissance des filières arachidière et soja – épaulée par une discipline macro-économique kényane – participe d’un récit politique centré sur la souveraineté alimentaire. En diversifiant les sources de devises et en consolidant des espaces d’autonomie décisionnelle, les États concernés se dotent d’une marge de manœuvre accrue dans les négociations internationales, qu’il s’agisse des accords climatiques, des schémas de sécurité ou des partenariats énergétiques. Cet horizon prometteur, auquel la République du Congo entend apporter sa contribution pragmatique, conforte l’idée que la diplomatie des hectares, loin d’être anecdotique, s’affirme comme un pilier de la stabilité continentale.