Un marché mondial sous tension énergétique
À l’instar d’autres pays producteurs, le Congo-Brazzaville n’échappe pas au paradoxe d’une économie exportatrice d’or noir qui peine pourtant à servir ses propres pompes. Les turbulences géopolitiques liées à la reconfiguration des flux pétroliers internationaux, la volatilité des cours et les contraintes de fret ont récemment exacerbé la compétition pour les cargaisons disponibles. Dans ce contexte où la moindre friction logistique se répercute instantanément sur la distribution intérieure, la pénurie constatée dans plusieurs grandes villes congolaises au premier semestre a agi comme un révélateur des vulnérabilités structurelles du segment aval du pays.
La réponse immédiate de Brazzaville
Devant les députés, le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean Richard Itoua a souligné que l’urgence imposait une action « coup de poing » reposant sur des importations massives et planifiées. La Société nationale des pétroles du Congo programme ainsi l’arrivée d’unités flottantes capables d’assurer cent cinq jours d’autonomie pour le super et soixante-dix pour le gasoil, en sus de la production de la Coraf. Les deux premières cargaisons déjà déchargées ont permis d’amorcer un rééquilibrage progressif, perceptible dans les files d’attente qui se raccourcissent à Pointe-Noire et Brazzaville. En parallèle, le gouvernement a veillé à garantir la priorité d’approvisionnement des services essentiels — hôpitaux, transport public, groupes électrogènes stratégiques — afin de contenir l’impact social et économique de la crise.
Renforcer la logistique intérieure
Le nœud du problème réside aussi dans le transport intérieur des produits raffinés. Les autorités misent sur la remise à niveau du Chemin de fer Congo-Océan, dont la fiabilité conditionne l’acheminement régulier vers le corridor Brazzaville-Owando. Dans le même élan, des sites de stockage supplémentaires sont réquisitionnés pour porter à deux mois les réserves stratégiques nationales. Cette démarche se conjugue avec un contrôle renforcé des circuits de distribution afin de prévenir les pratiques spéculatives dénoncées par le ministère, qui ont amplifié la sensation de rareté au pic de la crise.
Le pari de l’oléoduc Pointe-Noire–Brazzaville
Au-delà de la gestion de l’urgence, l’exécutif privilégie une vision à long terme. La signature d’un accord avec la Fédération de Russie pour la construction d’un oléoduc de 600 kilomètres entre la côte atlantique et la capitale ouvre la perspective d’un trépied logistique de 300 000 mètres cubes, soit un triplement de la capacité actuelle de la Société commune de logistique. Ce chantier, salué par plusieurs chancelleries africaines comme un jalon d’intégration régionale, devrait fluidifier l’axe stratégique menant vers les marchés d’Afrique centrale et réduire les coûts unitaires de transport, lesquels pèsent aujourd’hui sur la compétitivité du secteur.
Un modèle économique à réinventer
Si la raffinerie nationale couvre environ soixante pour cent de la demande, l’équilibre financier du segment aval demeure fragile. Le diagnostic, partagé par une récente mission technique du FMI, pointe des coûts de revient supérieurs aux prix réglementés. Toutefois, la dérégulation pure et simple recommandée par certains experts impliquerait une hausse sensible à la pompe, option jugée socialement risquée à ce stade. Le gouvernement opte pour une voie médiane : maintien de la protection des consommateurs les plus vulnérables, modernisation de la Coraf et diversification des revenus aval. Un comité interministériel planche désormais sur un nouveau modèle de pilotage intégrant fiscalité incitative, contractualisation plus transparente avec les distributeurs et renforcement de la chaîne de valeur locale.
Que retenir de la séquence parlementaire
Le dialogue ouvert le 4 juillet à l’Assemblée nationale aura permis de conjuguer pédagogie économique et responsabilité politique. Tout en reconnaissant la dimension conjoncturelle de la pénurie, les élus ont surtout interrogé la soutenabilité d’un schéma axé sur les importations. La réponse gouvernementale, articulée autour de délais crédibles et d’échéances chiffrées, a conforté la volonté de préserver la stabilité sociale. À court terme, le retour à la normale dépendra de la ponctualité des cargaisons et de la discipline des acteurs de la distribution. À moyen terme, il reposera sur la capacité de l’exécutif à finaliser l’oléoduc, moderniser le rail, consolider les stocks réglementaires et attirer les capitaux nécessaires à l’aval. Dans un environnement international incertain, cette séquence illustre la détermination de Brazzaville à transformer une crise ponctuelle en opportunité de souveraineté énergétique durable.