Un partenariat sécuritaire qui se consolide sous le sceau de la réciprocité
À Rabat, la signature du plan d’action entre Abdellatif Hammouchi et Louis Laugier, sous le regard attentif de l’ambassadeur Christophe Lecourtier, matérialise plus de trente années de coopération discrète. L’instrument juridique, inédit dans sa forme, offre un cadre procédural aux échanges de renseignement, à l’assistance technique et aux formations croisées. Il traduit surtout la conviction partagée que l’interdépendance sécuritaire n’est plus un slogan mais une donnée géopolitique, dans un corridor reliant les deux rives de la Méditerranée.
Une réponse commune au défi protéiforme du crime transnational
Trafic de stupéfiants sur la route atlantique, flux financiers illicites transitant par des places offshore ou cyber-escroqueries visant les institutions publiques : le spectre criminel ne connaît plus de frontières. En instituant des groupes de travail conjoints, Paris et Rabat tentent de substituer la logique de chasse gardée à celle de la mutualisation. Les deux directions générales évoquent déjà le déploiement d’équipes mixtes pour la traque d’individus fichés S et de figures du grand banditisme cantonnées au Sahel ou réfugiées dans les Balkans.
Le texte prévoit par ailleurs une utilisation rationalisée des notices rouges d’Interpol, instrument souvent critiqué pour ses usages politiques mais qui, dans la lutte antiterroriste, demeure un levier incontournable. Selon le ministère français de l’Intérieur, plus d’une dizaine d’arrestations liées à l’attentat de Nice de 2016 ont bénéficié d’informations transmises par la DGST marocaine (source gouvernementale française).
Des enjeux olympiques qui accélèrent la diplomatie de la sécurité
À moins de cent jours des Jeux de Paris, la France cherche fébrilement des alliés capables de couvrir ses angles morts. Depuis 2015, Rabat partage en temps quasi réel des signaux faibles issus de son réseau de surveillance électronique. Louis Laugier l’a reconnu publiquement, remerciant le Maroc pour « plusieurs contributions décisives à la neutralisation de menaces imminentes ».
Signe de la réciprocité, la police française s’engage à transférer ses protocoles de sécurisation d’événements de masse, un savoir-faire consolidé lors de l’Euro 2016 et de la Coupe du monde de rugby 2023. Cet appui technique sera précieux pour les futurs rendez-vous sportifs que le Maroc s’apprête à accueillir, de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 à la possible Coupe du monde 2030.
Vers une architecture euro-africaine de la lutte contre l’insécurité
Au-delà du binôme franco-marocain, l’accord s’inscrit dans un tissage plus vaste d’initiatives euro-africaines. Rabat, membre observateur de plusieurs programmes de l’UE, espère capitaliser sur ce plan pour renforcer son rôle pivot entre les agences européennes Frontex et Europol et les services de la CEDEAO. La France, confrontée à une opinion publique exigeant des résultats rapides en matière de lutte antidrogue, voit dans cette externalisation partielle une solution pragmatique.
La démarche n’est toutefois pas exempte de zones grises. Les ONG de défense des droits humains alertent sur la tentation de déléguer la gestion des flux migratoires à des partenaires aux standards juridiques différents. Paris jure que le nouveau dispositif respecte pleinement les conventions internationales, tandis que Rabat insiste sur sa souveraineté et son modèle ‘sécurité-développement’.
Fenêtre d’opportunités et lignes de faille potentielles
Dans l’immédiat, la feuille de route offre une visibilité politique bienvenue aux deux capitales. Le Maroc consolide son image de fournisseur crédible de sécurité, atout diplomatique dans la compétition pour les investissements étrangers. La France, elle, rappelle qu’elle demeure un partenaire de référence au Maghreb malgré les crispations observées avec Alger et Tunis.
Toutefois, le succès du plan reposera sur la gestion des dossiers sensibles, en particulier les demandes d’extradition susceptibles de heurter les opinions nationales. La question de la judiciarisation des preuves issues du renseignement reste également épineuse : comment transformer un flux d’informations brutes en éléments recevables devant un tribunal sans compromettre les sources ? Selon un magistrat parisien, « la clé résidera dans l’harmonisation des chaînes de conservation de la preuve ».
Enfin, la montée en puissance des technologies d’intelligence artificielle, auxquelles les deux polices accordent désormais une attention particulière, pose un défi de gouvernance. La tentation d’une surveillance algorithmique à grande échelle devra s’accompagner de garde-fous robustes, faute de quoi la coopération, si prometteuse soit-elle, pourrait se trouver fragilisée par la critique sociétale.
Cap sur une alliance sécuritaire durable
Si la diplomatie se nourrit souvent de symboles, la paraphe du plan d’action franco-marocain s’apparente davantage à un acte de gestion des risques assumé. Dans un environnement stratégique marqué par la fluidité des menaces, l’entente entre Rabat et Paris illustre la mutation des rapports Nord-Sud, où l’échange d’informations prévaut sur la seule distribution de moyens. Reste à transformer cette convergence d’intérêts en résultats tangibles, seule métrique réellement audible pour des opinions publiques soucieuses de sécurité et de libertés.