Une initiative française aux arômes multilatéraux
Depuis plusieurs semaines, le Quai d’Orsay peaufine les contours d’une « conférence internationale pour la solidarité avec les populations de l’est de la République démocratique du Congo », programmée le 25 juillet à Paris. L’ambition affichée par Emmanuel Macron est double : mobiliser des fonds humanitaires face à la détérioration rapide de la situation dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, et offrir, dans un cadre neutre, un espace de discussion à Félix Tshisekedi et Paul Kagame, aux relations devenues orageuses. Le président français entend inscrire cette initiative dans la lignée des conférences de Paris sur le Soudan ou le Liban, misant sur le pouvoir d’entraînement d’une diplomatie du « rendez-vous » qui conjugue urgence et visibilité internationale.
La cartographie mouvante de l’urgence humanitaire
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, plus de 6,3 millions de personnes sont aujourd’hui déplacées à l’intérieur de la RDC, un record absolu pour le pays (ONU, 2024). Le renouveau de la rébellion du M23, la fragmentation de groupes armés locaux et les tensions entre Kinshasa et Kigali créent un corridor humanitaire saturé, tandis que les corridors économiques autour de Goma, Bukavu et Bunia se grippent. Les ONG internationales estiment à 2,6 milliards de dollars les besoins financiers pour 2024, un appel couvert à moins de 35 %. Paris entend combler une partie de ce déficit, en conviant bailleurs traditionnels et nouvelles puissances contributrices, du Golfe à l’Inde, afin d’agréger des promesses de dons substantielles.
Le test de la convergence Kagame-Tshisekedi
L’éventualité d’une rencontre à Paris entre les présidents rwandais et congolais, en marge de la conférence, confère à l’événement une dimension politique que nul diplomate ne sous-estime. Depuis la médiation angolaise de Luanda en 2022, les discussions directes se sont raréfiées, chaque capital accusant l’autre de soutenir des forces déstabilisatrices. En proposant un format quadripartite – France, Rwanda, RDC, Union africaine –, Paris souhaite offrir un garde-fou institutionnel, tout en évitant l’impression d’une tutelle occidentale. « Il s’agit de leur laisser l’initiative, la France fournissant l’armature logistique », indique un conseiller présidentiel français.
Les réserves polies de l’Union africaine
Au siège de l’Union africaine, certains représentants craignent qu’une conférence pilotée depuis l’Europe n’alimente le sentiment de contournement des mécanismes africains de résolution des crises. Addis-Abeba rappelle qu’un cadre existe déjà, articulé autour de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EACRF) et des dispositifs de la CIRGL. Pour tempérer ces réticences, Paris s’engage à co-présider la réunion avec la Commission de l’UA et à réserver un segment ministériel aux États de la région des Grands Lacs. Un diplomate ougandais le résume ainsi : « Nous soutenons tout espace de dialogue, mais il doit renforcer, non substituer, les initiatives africaines ».
Le scepticisme se mesure également au sein de certaines chancelleries occidentales, pour lesquelles la multiplication de formats risque de diluer la chaîne de commandement humanitaire. Néanmoins, la perspective de promesses financières nouvelles et d’un signal politique fort plaide en faveur de la démarche française.
Le rôle discret de Brazzaville dans la stabilisation régionale
Si la République du Congo n’est pas partie prenante directe du conflit, Brazzaville jouit d’une réputation d’entremetteur patiemment construite, notamment dans les dossiers centrafricain et sahélien. À plusieurs reprises, le président Denis Sassou Nguesso a offert ses bons offices pour faciliter des échanges informels entre dirigeants de la région. Cette disponibilité diplomatique, saluée par l’ONU, s’appuie sur la neutralité du Congo-Brazzaville, éloigné des lignes de fracture frontalières, et sur sa tradition de respect du multilatéralisme. Des responsables français reconnaissent, off the record, que la contribution congolaise, « souvent silencieuse, toujours utile », pourrait créer des passerelles entre foyers de tension et négociateurs hésitants.
Dans la perspective du sommet parisien, des sources proches de l’Élysée laissent entendre que Brazzaville pourrait faciliter la présence de délégations civilo-militaires issues de la société congolaise de RDC, renforçant ainsi la légitimité régionale de la conférence.
Entre diplomatie humanitaire et compétition d’influence
La France n’ignore pas que sa réapparition dans le dossier des Grands Lacs s’inscrit dans un environnement international bien plus concurrentiel qu’au tournant des années 2000. Les États-Unis, déjà actifs via l’envoyé spécial Mike Hammer, la Chine, principal bailleur d’infrastructures en RDC, et le Qatar, nouveau pourvoyeur de fonds humanitaires, observent de près chaque initiative. Paris espère convertir sa capacité d’organisation en influence normative, en faisant prévaloir le droit international humanitaire et la protection des civils comme piliers de l’action collective. Cette posture gagne en crédibilité lorsque la diplomatie française s’appuie sur des partenaires africains, à l’instar du Congo-Brazzaville, dont la discrétion rapproche les positions.
Vers un agenda de la reconstruction
Au-delà des urgences, la conférence de juillet veut tracer les premiers jalons d’un plan de reconstruction intégrée de l’est congolais. Sécurisation des axes routiers, redémarrage de l’activité minière artisanale contrôlée, réhabilitation des structures sanitaires et scolaires : le chantier est titanesque. Le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères envisage la création d’un fonds fiduciaire multi-bailleurs, adossé à la Banque mondiale, qui serait alimenté par les États, mais aussi par le secteur privé, notamment l’industrie des métaux stratégiques.
En filigrane, Paris entend démontrer qu’un investissement précoce dans l’aide au développement réduit le coût budgétaire des opérations de maintien de la paix. « La stabilité est moins chère que la guerre », glisse un expert de l’OCDE. Reste à savoir si l’équation politique – rapprocher Kigali et Kinshasa tout en rassurant l’Union africaine – permettra de transformer l’exercice diplomatique en engagements financiers concrets.
Quelle probabilité de succès pour le 25 juillet ?
À quatre mois de l’échéance, le scepticisme demeure, mais l’engagement personnel d’Emmanuel Macron, confirmé lors de ses échanges téléphoniques avec Félix Tshisekedi en mars et Paul Kagame début avril, confère à la conférence un poids politique certain. Si les promesses de dons dépassent le milliard d’euros et qu’une photo de famille réunit les deux présidents autour du chef de l’État français et du président de la Commission de l’Union africaine, l’opération sera considérée comme un succès diplomatique. Dans le cas inverse, elle risque d’apparaître comme un énième rendez-vous manqué.
Quoi qu’il advienne, cette initiative rappelle que la diplomatie humanitaire demeure un outil d’influence, mais également un test de sincérité. Pour les capitales africaines, la mesure de la réussite se lira dans la rapidité avec laquelle les promesses se traduiront sur le terrain, à Rutshuru ou à Bunia, en dispositifs de protection, en couloirs d’acheminement et en services publics remis sur pied. C’est sur ce terrain concret que se jaugera, in fine, l’efficacité de l’exercice multilatéral parrainé par Paris.