Santé royale et gestion de l’information
Depuis l’intervention cardiaque annoncée en 2017 à Paris, les bulletins de santé émanant du Cabinet royal se veulent laconiques, mais chaque communiquÉ officialise malgré tout un cap symbolique : la santé du monarque, traditionnellement domaine du secret, devient objet public (AFP, 27/02/2018). Les arythmies successives de 2018 et 2020, suivies d’une hospitalisation pour pneumonie virale en 2019, ont nourri un marché de spéculations où se mêlent diagnostics d’experts exogènes et conjectures populaires sur les réseaux sociaux. Rabat, tout en affirmant la « récupération complète » du souverain, s’astreint à un équilibre délicat : rassurer les partenaires étrangers soucieux de stabilité, sans multiplier les détails cliniques susceptibles de fragiliser l’autorité symbolique du trône.
Cette tension entre impératif de transparence et culture du secret est accentuée par les réformes constitutionnelles de 2011, qui ont élargi l’espace de débat médiatique. Dès lors, la moindre absence prolongée du souverain devient un révélateur de la transformation de l’écosystème informationnel marocain. À l’ère de la data en temps réel, la monarchie chérifienne semble redécouvrir qu’il n’existe plus d’espace vraiment hermétique, même derrière les hautes murailles de Dar al-Makzen.
La discrète redéfinition du couple princier
Le retrait progressif de Lalla Salma, officiellement jamais commenté mais implicitement entériné par la presse officielle, a marqué une inflexion dans la communication royale. Investie dans la lutte contre le cancer depuis 2005, l’ex-première dame avait donné un visage moderne à la monarchie. Son éloignement, rendu public par le magazine ¡Hola! en 2018 puis confirmé de façon incidente par l’avocat Éric Dupond-Moretti l’année suivante, a laissé le terrain aux conjectures les plus diverses. L’absence de cadrage institutionnel a permis à certains médias étrangers de présenter le divorce comme le symptôme d’une tension interne plus large, tandis que les chancelleries occidentales, notant la continuité des signatures au sein du Conseil des ministres, relativisaient l’impact de cette réorganisation privée sur la conduite des affaires publiques.
Pourtant, les clichés diffusés l’été dernier montrant la princesse accompagnée de ses enfants à Mykonos rappellent que, même silencieuse, Lalla Salma demeure un actif symbolique du récit dynastique. Loin d’être anodines, ces apparitions suggèrent une scénographie maîtrisée destinée à souligner la cohésion familiale autour du prince héritier, au moment précis où celui-ci consolide sa stature publique.
Escapades luxueuses et perception publique
Au sein d’une opinion affectée par la hausse des prix de l’énergie et le débat récurrent sur le chômage des jeunes, les images du roi en jet-ski à Cabo Negro ou entouré des frères Azaitar cristallisent un malaise. Le contraste avec le narratif d’un souverain convalescent est patent ; il alimente l’idée d’un monarque à la santé certes fragile mais déterminé à afficher une vitalité maîtrisée. Les diplomates à Rabat indiquent cependant que ce registre de proximité festive s’adresse d’abord à la jeunesse marocaine, friande de contenus Instagram, et qu’il ne saurait résumer la conduite effective des dossiers stratégiques, notamment le partenariat sécuritaire avec les États-Unis ou la médiation dans le dossier libyen (Jeune Afrique, 05/06/2025).
Dans la tradition monarchique marocaine, le faste n’est pas une rupture mais un prolongement d’une sacralité qui se veut visible. Toutefois, l’internationalisation des canaux de diffusion donne à la consommation ostentatoire un relief inédit, d’où un risque d’image que le Makhzen tente de contenir par des séquences plus sobres : remise de décorations à Rabat, visites d’hôpitaux ou audiences accordées à des envoyés spéciaux des Nations unies.
Moulay Hassan, pièce maîtresse de la continuité
La multiplication des apparitions officielles du prince héritier depuis la fin de la pandémie, qu’il s’agisse de présider des cérémonies religieuses ou de représenter son père au Sommet de la Ligue arabe en 2024, s’inscrit dans un canevas classique de préparation à la succession. Âgé de vingt-deux ans, formé à l’École de gouvernance et d’économie de Rabat puis à Sciences Po Bordeaux, Moulay Hassan incarne une articulation générationnelle assumée. Les chancelleries occidentales soulignent sa maîtrise de l’anglais et son intérêt pour les politiques climatiques, éléments susceptibles de moderniser l’agenda extérieur du Royaume.
Pour l’opinion interne, sa présence continue réaffirme le caractère héréditaire de la monarchie alaouite, en atténuant toute angoisse de vacance. D’un point de vue diplomatique, elle offre une visibilité bienvenue à des partenaires intéressés par la prévisibilité de la chaîne décisionnelle, notamment dans les domaines de la lutte antiterroriste et de la transition énergétique.
Entre stabilité institutionnelle et interrogations internationales
En définitive, la question n’est pas tant de savoir si Mohammed VI est en déclin, que d’évaluer l’impact concret de ses aléas personnels sur la gouvernance du pays. À ce stade, les décisions structurantes – de la réforme du Code de l’investissement à la normalisation avec Israël – demeurent signées par le roi, ce qui conforte l’analyse des diplomates pour qui le centre nerveux du pouvoir reste intact. Néanmoins, les signaux contradictoires diffusés par la sphère royale imposent aux observateurs un exercice d’interprétation permanent, où se mêlent codes historiques de la monarchie, contraintes communicationnelles contemporaines et jeux d’acteurs internationaux.
Le Maroc, souvent perçu comme un pôle de stabilité dans une région mouvante, voit son leadership peser au Sahel et sur le dossier migratoire euro-méditerranéen. À Rabat, un conseiller ministériel résume la situation : « Le royaume a traversé la décennie des révolutions arabes sans vaciller. Il dispose d’institutions capable d’absorber la gestion du temps biologique du souverain. » L’avenir immédiat dépendra moins d’un événement médical que de la capacité du Makhzen à orchestrer une transition en douceur, dans une cohérence narrative susceptible de rassurer, à la fois, citoyens, partenaires africains et investisseurs étrangers.