Quarante années de règne : anatomie d’une longévité présidentielle
Yoweri Kaguta Museveni, porté au pouvoir par la guérilla du National Resistance Army en 1986, s’apprête à solliciter les suffrages pour la septième fois consécutive. Avec une durée au pouvoir excédant celle de Mobutu ou de Mugabe, l’homme fort de Kampala incarne ce que certains diplomates décrivent, mi-ironiques, comme le « syndrome de la présidence perpétuelle ». Sur la scène continentale, seuls Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et Paul Biya rivalisent en ancienneté. Cette longévité repose sur un fragile équilibre entre une coalition militaro-politique très soudée, un appareil sécuritaire capillaire et une rhétorique modernisatrice qui continue de séduire une partie de la population rurale.
La constitution à géométrie variable et la question de la succession
Les verrous constitutionnels qui semblaient limiter la durée ou l’âge des titulaires ont été tour à tour levés : la restriction de deux mandats en 2005, puis la limite d’âge de 75 ans en 2017. Ces révisions successives, adoptées à l’issue de débats parlementaires houleux marqués par des scènes d’expulsion de députés de l’opposition, témoignent d’une ingénierie institutionnelle minutieuse. En coulisses, la figure du général Muhoozi Kainerugaba, fils du président et conseiller spécial chargé des opérations spéciales, nourrit une spéculation persistante sur une éventuelle « dynastie républicaine ». Le président s’est toutefois gardé de lever l’équivoque, maniant l’ambiguïté comme instrument de contrôle des factions internes.
Répression ciblée : un espace civique en rétrécissement continu
Depuis l’irruption électorale de Robert Kyagulanyi, chanteur devenu député et mieux connu sous le nom de Bobi Wine, les forces de sécurité intensifient arrestations préventives, dispersion violente de rassemblements et poursuites judiciaires pour « troubles à l’ordre public ». Human Rights Watch évoque « une militarisation des urnes » tandis que la Commission nationale des droits de l’homme déplore une augmentation de 23 % des plaintes pour détention arbitraire en 2023. La loi sur les organisations non gouvernementales, amendée en 2021, impose un enregistrement annuel et autorise l’arrêt immédiat des activités jugées « préjudiciables à l’intérêt national ». Plusieurs ONG de monitoring électoral ont vu leurs comptes bancaires gelés. Ces mesures risquent, selon des observateurs de l’Union africaine, d’entamer la crédibilité d’un scrutin déjà marqué par un accès inégal aux médias.
Stabilité régionale et partenariats sécuritaires : le dilemme des bailleurs
L’Ouganda demeure un pilier des opérations de maintien de la paix en Somalie et un maillon essentiel de la lutte contre les groupes armés dans l’est de la République démocratique du Congo. Pour Washington comme pour Bruxelles, la coopération antiterroriste avec Kampala constitue un enjeu prioritaire. Des diplomates occidentaux admettent en privé que la valeur stratégique de l’armée ougandaise tend à relativiser les exhortations publiques à la bonne gouvernance. « Nous devons choisir entre un partenaire robuste et la pure orthodoxie démocratique », confie un négociateur européen sous couvert d’anonymat. Ce réalisme, parfois qualifié de « sélectif », alimente la rhétorique souverainiste du président qui dénonce « les injonctions néocoloniales ».
Économie régionale : entre hydrocarbures à l’est et ruée vers l’or à l’ouest
L’entrée en production du corridor pétrolier Ouganda-Tanzanie en 2025 pourrait redessiner la carte énergétique de l’Afrique de l’Est. Toutefois, le climat d’incertitude politique fait grimper les primes de risque exigées par les investisseurs. Sur la façade atlantique, le Ghana observe l’envolée des cours de l’or, passés au-delà de 2 000 dollars l’once, déclenchant une ruée vers l’extraction artisanale. Les autorités d’Accra testent des drones de cartographie et un traçage blockchain pour assécher le marché illégal, initiative suivie de près à Kampala où la contrebande aurifère transfrontalière prospère. Le lien est direct : la stabilité politique ougandaise conditionne la sécurisation des flux logistiques et financiers régionaux.
Soft power africain : l’art géant de Lomé, contrepoint symbolique
À Lomé, Atisso Goha, surnommé « le Sculpteur des Géants », assemble d’immenses pachydermes d’acier issus de décharges portuaires. Son succès lors de la dernière Biennale de Dakar rappelle qu’une Afrique vibrante et créative coexiste avec les débats sur la gouvernance. Des diplomates considèrent ces expressions artistiques comme des vecteurs de résilience sociale. Elles offrent un récit alternatif, capable d’infléchir l’image du continent au-delà des indicateurs politiques conjoncturels. Ainsi, tandis qu’Ouganda et Ghana concentrent l’attention économique et sécuritaire, le Togo projette une narration culturelle qui participe à la diplomatie publique régionale.
Vers le scrutin : scénarios et marges de manœuvre diplomatiques
Les partenaires internationaux scrutent désormais trois variables : l’intégrité des listes électorales, la neutralité des forces armées et l’accès des candidats aux médias d’État. L’Union européenne envisage une mission d’observation « conditionnelle », suspendue à l’obtention de garanties de sécurité pour ses équipes. La Communauté d’Afrique de l’Est plaide pour un dialogue inclusif, mais se heurte à l’intransigeance du parti au pouvoir. Dans ce contexte, les chancelleries redoutent un scénario d’implosion post-électorale similaire à celui du Kenya en 2007. L’influence encore considérable de Museveni, adossée à une croissance économique de 5,3 % l’an, pourrait toutefois désamorcer les tensions si une ouverture politique, même marginale, était consentie.
Regard de synthèse : entre permanence et changement
Le pari d’un septième mandat prolonge une logique de personnalisation politique éprouvée, mais il s’inscrit dans un environnement continental où la donne démographique, l’intégration des marchés et l’exigence d’alternance gagnent en densité. La stabilité incontestable apportée par Museveni dans les années 1990 se heurte à une société urbaine plus connectée et à une classe moyenne désireuse de renouvellement. Les diplomaties occidentales, quant à elles, oscillent entre la tentation de faire pression et la nécessité de préserver un partenaire sécuritaire majeur. Ce balancement illustre la complexité d’une Afrique où l’on peut, dans le même battement de cœur, célébrer le triomphe d’un artiste togolais, compter les lingots ghanéens et guetter le sort d’urnes ougandaises.