Une longévité qui défie les chronomètres politiques
Lorsque le Mouvement de résistance nationale a officialisé le 24 juin 2025 la nouvelle candidature de Yoweri Museveni, c’est moins un frisson qu’un déjà-vu qui a parcouru Kampala. Aux commandes depuis 1986, le chef de l’État revendique une légitimité forgée par la pacification de l’après-guerre civile et le redressement macro-économique. Le NRM souligne qu’« il reste le meilleur garant de la stabilité nationale », argument martelé à chaque cycle électoral. Cette mécanique de la continuité s’appuie sur un appareil partisan solidement implanté jusque dans les districts ruraux, un récit panafricaniste où Museveni se présente comme rempart contre l’instabilité régionale, et une relecture pragmatique de la Constitution, amendée en 2005 puis en 2017 pour lever, successivement, la limite de mandats et la limite d’âge.
Opposition bridée : un climat de défiance croissante
Si le parti au pouvoir exalte la constance, l’opposition dénonce une « fatigue démocratique » entretenue par la coercition. Les formations de Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, ou de Kizza Besigye rapportent enlèvements, détentions arbitraires et entraves aux rassemblements. « Des éléments, dont certains appartiennent à l’opposition, collaborent avec des étrangers pour semer le chaos », rétorque Museveni, accusant ses adversaires d’« importer l’agitation ». Cette rhétorique sécuritaire alimente la méfiance mutuelle : les leaders d’opposition redoutent que les forces de sécurité, déjà omniprésentes en période pré-électorale, verrouillent davantage l’espace public tandis que le gouvernement brandit la lutte antiterroriste pour justifier ses déploiements.
La justice militaire étendue aux civils, un précédent sensible
La signature en juin 2025 de la loi habilitant les cours martiales à juger des civils a marqué un tournant institutionnel. Défenseurs des droits humains et chancelleries occidentales y voient un outil de dissuasion politique dirigé contre militants et journalistes. Kampala, elle, insiste sur la nécessité de réponses rapides face aux menaces hybrides, notamment la mouvance Allied Democratic Forces active à la frontière congolaise. Tanga Odoi, président de l’organe électoral du NRM, minimise les critiques : « Le président usera de cette loi avec discernement ». L’élargissement du périmètre judiciaire brouille cependant la frontière entre droit militaire et civil, un glissement perçu comme symptomatique de la personnalisation du pouvoir.
Effets d’entraînement régionaux et intérêts des partenaires
L’avenir politique de l’Ouganda dépasse ses frontières. Séparée du Soudan du Sud par une paix fragile, de la RDC par une frontière poreuse aux groupes armés et du Rwanda par un voisin exigeant, Kampala reste une pièce maîtresse du dispositif sécuritaire est-africain. Washington apprécie son rôle dans les missions de l’Union africaine en Somalie, tandis que Pékin, très présent dans les infrastructures, privilégie la continuité pour protéger ses investissements énergétiques, notamment le pipeline EACOP. Quant à l’Union européenne, elle conditionne désormais une partie de son aide budgétaire aux garanties de gouvernance et à la protection des libertés fondamentales. La candidature de Museveni oblige ces acteurs à arbitrer entre stabilité apparente et crédibilité normative.
Scénarios pour 2026 : transition verrouillée ou ouverture contrôlée
À sept mois du scrutin, trois trajectoires se dessinent. Première hypothèse : une victoire confortable du NRM, facilitée par l’atomisation de l’opposition et un appareil sécuritaire dissuasif. Dans ce cas, le statu quo prévaudrait, avec une succession interne, souvent évoquée au profit du fils du président, Muhoozi Kainerugaba, repoussée à l’horizon 2031. Seconde option : une compétition plus serrée sous pression internationale, poussant l’exécutif à concéder quelques réformes, telles qu’un renforcement de la commission électorale ou un accès médiatique élargi aux candidats. Enfin, un scénario de crise, déclenché par des contestations de résultats, pourrait rouvrir la boîte de Pandore des protestations urbaines de 2021. Les chancelleries africaines, Kenya en tête, redoutent cette dernière issue, susceptible de dérégler les couloirs logistiques régionaux et le fragile équilibre du corridor pétrolier.
Entre quête de légitimité et gestion du temps politique
Alors que Yoweri Museveni remplira, selon Tanga Odoi, les formulaires d’investiture le 28 juin 2026, la campagne s’annonce comme un test de résilience institutionnelle. Les partenaires étrangers, certes soucieux de stabilité, rappellent que la légitimité d’un leader, même chevronné, repose désormais sur la régularité du scrutin et la protection des droits civils. Pour l’heure, le président ougandais parie sur la mémoire de la guerre et la crainte du vide pour rallier un électorat rural majoritaire. Mais à mesure que la classe moyenne urbaine gagne en influence, l’équation électorale se complexifie. Museveni, qui aime à rappeler qu’« un révolutionnaire ne regarde pas l’horloge », doit pourtant composer avec un temps politique qui, inexorablement, finit par rattraper toutes les présidences.