La mécanique interne du NRM réactive la candidature Museveni
À peine les cérémonies du 40ᵉ anniversaire du Mouvement de résistance nationale (NRM) achevées, les structures régionales du parti ont reçu pour instruction d’« harmoniser » la base autour d’un nouveau mandat du président Yoweri Museveni. La résolution, adoptée à Gulu puis relayée à l’échelle nationale, témoigne d’une discipline partisane intacte ; elle rappelle que le chef de l’État, au pouvoir depuis 1986, demeure la clé de voûte d’un système institutionnel soigneusement consolidé par les réformes constitutionnelles de 2005 et de 2017. Les cadres justifient cette option par la stabilité macroéconomique – croissance annuelle oscillant entre 4 % et 6 % selon la Banque d’Ouganda – et par la poursuite du projet pétrolier de Tilenga, présenté comme un « game changer » pour les recettes budgétaires (Ministry of Energy, rapport 2023).
La stratégie de communication demeure calibrée : insister sur la sécurité intérieure restaurée dans le nord, valoriser la diplomatie militaire du contingent ougandais en Somalie et au Soudan du Sud, et promouvoir la modernisation des infrastructures routières et numériques soutenues par les partenariats chinois. Dans les couloirs du NRM, la perspective d’une relève dynastique portée par le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président, est momentanément remisée, sans disparaître totalement des esprits.
Bobi Wine, figure de proue d’une opposition plurielle mais fragmentée
De l’autre côté de l’échiquier, l’artiste devenu chef de file d’opposition, Robert Kyagulanyi Ssentamu – alias Bobi Wine – tente de capitaliser sur les 34 % obtenus en 2021. Depuis son quartier général de Magere, il multiplie les visites dans les universités, diffuse des messages via TikTok et WhatsApp, et recompose une coalition informelle allant du Forum for Democratic Change (FDC) au People’s Front for Transition. Le maire de Kampala, Erias Lukwago, évoque « une opposition en apprentissage permanent de la résilience », consciente toutefois de sa faible implantation rurale où résident près de 75 % des électeurs (Uganda Bureau of Statistics, 2022).
La pression judiciaire persiste : comparutions pour rassemblements non autorisés, gel temporaire de comptes bancaires associatifs, interrogatoires devant la Commission électorale. Mais ces contraintes nourrissent paradoxalement le storytelling de Wine, qui se présente en porte-voix d’une génération née après 1990, avide d’alternance et d’ouverture économique. Selon une enquête de l’Aga Khan University (octobre 2023), 62 % des 18-30 ans citent la « création d’emplois » comme la première priorité, loin devant les questions constitutionnelles.
Démographie, urbanisation et nouveaux vecteurs d’opinion
Le facteur démographique constitue l’arrière-plan déterminant. L’âge médian de 16,7 ans confère à tout scrutin un caractère générationnel ; l’Ouganda ajoute chaque année près de 900 000 nouveaux électeurs potentiels. Le NRM a longtemps compté sur les réseaux de chefs locaux et sur l’implantation des veterans’ associations. Désormais, l’expansion de l’Internet mobile – 55 % de taux de pénétration selon l’Uganda Communications Commission – redistribue la bataille de l’attention. Les influenceurs lifestyle de Kampala, le collectif Teknoh Zero basé à Gulu ou encore les blogueurs de la diaspora à Boston façonnent une conversation politique qui échappe partiellement aux médias d’État.
La Commission électorale, sous la houlette de Justice Simon Byabakama, promet une première expérimentation d’enregistrement biométrique intégral des bureaux de vote dits « sensibles ». Les observateurs de la Communauté d’Afrique de l’Est saluent l’initiative tout en rappelant les défis logistiques : alimentation électrique intermittente dans le Karamoja, couverture télécom capricieuse dans les zones marécageuses de l’Ouést-Nile.
Conséquences géopolitiques dans la région des Grands Lacs
Le voisinage suit de près la séquence électorale ougandaise. Kigali, partisan d’un modus vivendi sécuritaire récent avec Kampala, redoute toute incertitude susceptible d’affecter la coopération sur le corridor ferroviaire Isaka-Kigali. Nairobi, qui a accueilli plusieurs forums d’investissement consacrés à l’oléoduc EACOP, compte sur la prévisibilité du leadership ougandais pour finaliser la mobilisation financière auprès des bailleurs multilatéraux. Quant à Kinshasa, engagée dans des opérations conjointes contre les ADF dans l’est de la RDC, elle voit en la pérennité de la doctrine Museveni un gage de continuité opérationnelle, même si des ONG congolaises s’interrogent sur la durée du déploiement.
Les chancelleries occidentales affichent une prudence pragmatique. Washington note les progrès sur l’interopérabilité dans les missions AMISOM tandis que Bruxelles, focalisée sur l’Accord de partenariat économique, insiste sur la protection des espaces civiques. Pour Pékin, partenaire d’infrastructures stratégiques, l’essentiel demeure la garantie de contrats stables, indépendamment du résultat des urnes.
Entre continuité institutionnelle et appétit d’alternance : quel horizon ?
À ce stade, les sondages indépendants restent rares ; néanmoins, les enquêtes téléphoniques de Twaweza indiquent qu’en milieu urbain, 48 % des répondants se disent favorables à « un changement de leadership ». Dans le monde rural, la proportion descend à 29 %. Museveni, fort d’un appareil d’État éprouvé, dispose d’avantages structurels évidents : maîtrise du calendrier, maillage administratif et ressources financières. Bobi Wine, lui, parie sur une dynamique ascendante, alimentée par le pouvoir mobilisateur des réseaux sociaux et une rhétorique de justice sociale qui trouve écho dans l’exaspération face au coût de la vie.
Le scrutin de 2026 s’annonce donc comme un test grandeur nature pour les mécanismes électoraux modernisés et pour la capacité de l’opposition à s’unir au-delà des capitales régionales. Qu’il se solde par la reconduction du président sortant ou par une surprise ballotage obligeant à un second tour, il pèsera sur la stabilité économique d’une zone des Grands Lacs déjà soumise aux aléas sécuritaires. Dans tous les scénarios, l’enjeu central sera la préservation des équilibres diplomatiques, notamment avec les partenaires du Corridor Nord et les États membres de la Communauté d’Afrique de l’Est.