Un prix mondial qui braque les projecteurs sur le Maghreb néolithique
Le prestigieux Prix Antiquity, créé en 1994 par la revue académique éponyme, distingue chaque année une recherche jugée décisive pour la compréhension du passé humain. L’édition 2025 couronne l’enquête pluridisciplinaire menée sur le site d’Oued Beht, niché dans les contreforts pré-atlantiques du Maroc. Cette récompense, parmi les plus convoitées du milieu, acte l’entrée du Maghreb dans la conversation scientifique sur l’émergence des sociétés complexes en Méditerranée, longtemps monopolisée par les rives orientales du Bassin. Elle rappelle aussi que le patrimoine archéologique peut façonner des formes de soft power, au même titre que la diplomatie énergétique ou sécuritaire.
Oued Beht : dimensions et organisation d’un complexe agro-pastoral pionnier
Daté entre 3400 et 2900 avant notre ère, le gisement marocain livre les vestiges du plus vaste ensemble agricole connu en Afrique en dehors de la vallée du Nil. Les fouilles ont mis au jour un habitat regroupant habitations semi-enterrées, zones artisanales et séries de fosses de stockage profondes. Les archéologues estiment que la superficie occupée pourrait rivaliser avec celle de la cité de Troie au tout début de l’Âge du bronze, signalant une densité de population et un degré d’organisation rarement observés pour cette phase du Néolithique final nord-africain.
Des indices matériels attestant d’une économie diversifiée
L’argumentaire scientifique reposant sur plus de trois mille artefacts répertoriés, l’équipe a pu reconstituer une économie agropastorale robuste. Les restes carpologiques témoignent de la domestication précoce du blé amidonnier, de l’orge et de légumineuses, tandis que les ossements indiquent la présence maîtrisée de caprinés, de bovins et de suidés. La céramique, aux décors incisés caractéristiques, révèle des techniques de cuisson avancées, et les assemblages lithiques montrent des lames de faucilles polies, adaptées à la moisson. La découverte de vastes silos enterrés suggère une capacité de stockage excédentaire, indice d’une possible redistribution communautaire ou d’échanges à moyenne distance, prémices d’un réseau commercial intra-maghrébin encore sous-documenté.
Un consortium scientifique à l’échelle euro-méditerranéenne
Le projet archéologique d’Oued Beht (OBAP), lancé en 2021, réunit l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine du Maroc, le Conseil national de la recherche italien, l’Université de Cambridge et l’Association internationale d’études méditerranéennes et orientales. Ce montage institutionnel illustre la montée en puissance des coopérations triangulaires Sud-Sud-Nord, désormais encouragées par l’Union africaine et l’Union européenne. Selon la codirectrice marocaine du programme, le chantier « conjugue expertise locale et technologies analytiques de pointe, des isotopes stables à la photogrammétrie, tout en formant la prochaine génération de chercheurs africains ». L’initiative bénéficie d’ailleurs d’un soutien diplomatique discret, Rabat soulignant l’impact du patrimoine sur l’attractivité régionale et sur le dialogue interculturel.
Enjeux géopolitiques et diplomatiques du patrimoine archéologique
Au-delà de l’intérêt académique, la reconnaissance internationale d’Oued Beht intervient dans un contexte où les États nord-africains cherchent à diversifier leurs atouts d’influence. La valorisation d’un récit commun sur les origines agricoles du Maghreb offre un levier de cohésion régionale, susceptible d’atténuer des tensions frontalières ponctuelles. Pour les partenaires européens, soutenir de tels programmes représente un instrument de diplomatie culturelle, complémentaire des engagements en matière de sécurité et de climat. Le cas d’Oued Beht révèle ainsi comment la science archéologique peut devenir une scène de négociation symbolique, chaque fragment de poterie participant, à sa manière, à la construction d’une image nationale ouverte et moderne.
Perspectives pour la recherche africaine et méditerranéenne
Le corpus de données engrangé par l’OBAP redéfinit la chronologie de la néolithisation en Afrique du Nord et appelle à réévaluer le rôle du Sahara atlantique comme corridor d’innovations. Plusieurs équipes envisagent déjà des comparaisons isotopiques avec les sites du Rif et de la vallée du Sénégal pour tester l’hypothèse d’une circulation de cultivateurs plutôt que d’une simple diffusion d’idéologies agricoles. À moyen terme, l’objectif est de constituer une base de références maghrébine accessible aux laboratoires africains, afin de réduire la dépendance analytique vis-à-vis des centres européens. La remise du Prix Antiquity 2025 confère à ces ambitions une crédibilité et une visibilité accrues, encourageant bailleurs et gouvernements à inscrire le patrimoine dans leurs agendas de développement durable.